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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 213

Le lundi 17 juin 2024
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le lundi 17 juin 2024

La séance est ouverte à 18 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le Mois de la fierté

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai le plaisir de partager avec vous quelques réflexions à l’occasion du Mois de la fierté au Canada.

Je suis fier d’être citoyen du Canada, un pays qui possède une Charte constitutionnelle des droits et libertés, et je suis fier d’avoir participé à l’étude du Sénat sur le projet de loi C-16, qui est devenu loi il y a 7 ans cette semaine et qui a ajouté l’identité ou l’expression de genre à la liste des motifs de discrimination illicites dans la Loi canadienne sur les droits de la personne et à la liste des caractéristiques des groupes identifiables protégés contre les propos haineux dans le Code criminel.

Ma fierté est toutefois tempérée par la réalité vécue par de nombreux membres de la communauté 2ELGBTQI+. Un trop grand nombre d’entre eux sont encore confrontés au rejet et à la discrimination dans leur vie quotidienne et risquent trop souvent d’être victimes de violences de la part d’autrui. Oui, nous avons des lois pour les protéger, mais ces lois ne s’appliquent qu’après coup, et pour les gais, les lesbiennes, les trans, les personnes à genre fluide ou les non binaires, « après coup » est parfois synonyme de « trop tard ».

Chers collègues, ma femme Nancy et moi avons deux magnifiques enfants. Notre aînée est une femme gaie et notre cadette est transgenre. Il ne s’agit donc pas d’un sujet abstrait pour moi. C’est une question profondément personnelle, et cela va au cœur de mes valeurs fondamentales en tant que personne.

Au cœur des traditions religieuses et philosophiques que je connais le mieux et qui ont influencé mes opinions morales et politiques se trouve l’idéal de l’égalité. Allant du commandement d’aimer son prochain comme soi-même dans le Lévitique à l’encouragement à traiter les autres comme on souhaite être traité dans l’Évangile selon Luc, en passant par l’impératif catégorique d’Emmanuel Kant et les travaux du philosophe du droit Ronald Dworkin, la valeur fondamentale qui rend possible la cohabitation dans notre démocratie pluraliste est le droit de chacun d’être traité avec la même attention et le même respect. Il ne s’agit pas seulement des gens qui nous ressemblent ou de ceux qui ressemblent à ce que nous pensons qu’ils devraient ressembler, qui agissent comme nous pensons qu’ils devraient agir, qui aiment les personnes que nous pensons qu’ils devraient aimer ou qui sont les gens que nous pensons tout simplement qu’ils devraient être.

Le Mois de la fierté est l’occasion d’en apprendre davantage sur la diversité au sein de la communauté 2ELGBTQI+ et, par extension, au sein de l’ensemble de la société canadienne. C’est aussi l’occasion d’affirmer notre engagement à l’égard des valeurs fondamentales de notre pays — un Canada diversifié, pluraliste et démocratique dans lequel nous avons tous notre place et dont nous pouvons tous être fiers. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Frances Lankin : Honorables sénateurs, je suis ravie de joindre ma voix à celle de mes collègues pour souligner et célébrer le Mois de la fierté. Je note que de nombreux collègues ont abordé ce sujet sous un angle sociétal important et aussi sous un angle personnel.

Je vais emprunter la même voie, mais de manière un peu différente, car je vais parler des changements législatifs et politiques survenus pendant la brève période où j’ai siégé à l’Assemblée législative de l’Ontario. À cette époque assez volatile et importante, je me suis employée à progressivement apporter des changements pour faire reconnaître, notamment sur le plan législatif, des droits dûment mérités.

J’ai été élue en septembre 1990, puis assermentée comme membre du Cabinet. Durant la session d’hiver, j’ai fait une déclaration ministérielle, et je me rappelle la fierté que j’ai ressentie parce que le gouvernement avait fait un véritable pas en avant. Dans cette déclaration devant l’Assemblée législative de l’Ontario, j’ai annoncé que la fonction publique ontarienne accordait une protection familiale pour les services assurés et non assurés, aux couples de même sexe, notamment employés d’organismes, de conseils et de commissions participant au régime de prestations de la fonction publique de l’Ontario.

Comme je l’ai indiqué, j’étais une toute nouvelle venue dans cette arène, mais j’ai l’honneur de dire qu’il s’agissait de ma toute première déclaration ministérielle en tant que ministre. Comme en témoigne le hansard de la législature de l’Ontario du 20 décembre 1990, j’ai dit ceci :

En tant que cheffe de la fonction publique de l’Ontario, je souhaite informer les députés de l’assemblée législative d’une modification administrative interne qui, à mon avis, démontre visiblement l’engagement du gouvernement à reconnaître la diversité de sa main-d’œuvre et à procéder à une réforme sociale.

À partir du 1er janvier 1991, la fonction publique de l’Ontario étendra la couverture familiale pour toutes les prestations assurées et non assurées aux couples de même sexe, y compris ceux qui sont employés par les organismes, les conseils et les commissions […]

J’ai terminé ma déclaration sur cette note :

Le principe selon lequel toutes les lois et tous les programmes de l’Ontario doivent traiter les personnes de manière équitable, quelle que soit la nature de leurs relations personnelles ou de leur unité familiale, est le principal élément pris en compte dans ces changements.

Je peux également dire que cette période a été marquée par de grandes décisions judiciaires et de nombreuses causes portées devant les tribunaux. Je tiens à rendre hommage à l’ancien procureur général Ian Scott — qu’il repose en paix —, qui a présenté une mesure législative du gouvernement, avec l’appui de l’opposition néo-démocrate, visant à modifier le Code des droits de la personne de l’Ontario pour mettre fin à la discrimination.

Après cette déclaration de changement de politique, le gouvernement a cherché à présenter une mesure législative qui modifierait la définition de « conjoint » dans 79 lois provinciales. Elle a été rejetée. C’est une anecdote politique intéressante que je n’ai pas le temps de vous raconter aujourd’hui, mais les tribunaux sont à nouveau intervenus et le gouvernement qui nous a succédé — le gouvernement de Mike Harris — a été contraint de présenter la mesure législative contre laquelle il avait voté.

Je conclurai en disant que nous vivons une époque dangereuse. Nous devons continuer d’étendre les droits, mais nous nous trouvons également dans une situation où l’on tente d’abolir certains droits. En tant que parlementaires, nous devons être vigilants et nous montrer solidaires de la communauté lesbienne et gaie pour veiller à ce que les gains durement acquis ne soient pas perdus dans une tempête d’intolérance politique, personnelle et sociétale. Merci beaucoup.

Des voix : Bravo!

Visiteur à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Jacques Roy, le mari de la sénatrice Kingston.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

12 Neighbours

L’honorable Joan Kingston : Honorables sénateurs, je vous demande de célébrer avec moi aujourd’hui l’achèvement de la phase de construction d’un projet développé par une entreprise sociale. C’est un modèle à suivre, car il répond de façon novatrice aux multiples besoins des personnes qui se trouvent en situation d’itinérance chronique. Je parle de 12 Neighbours, une communauté de minimaisons permanentes colorées situées à proximité du stationnement d’un Walmart, sur un trajet d’autobus municipal à Fredericton, au Nouveau-Brunswick.

En deux ans seulement, l’entreprise a construit 96 maisons de 250 pieds carrés qui sont maintenant occupées. Oui, il s’agit de 8 regroupements de 12 maisons avec un porche minuscule, des cours communes et des panneaux solaires sur chaque toit minuscule. Certaines maisons sont occupées par un couple.

Le personnel de 12 Neighbours est sur place 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Les résidants ont accès à des programmes d’établissement d’objectifs et à du counselling en matière de toxicomanie et de santé mentale afin de les aider à se préparer à travailler pour l’une des entreprises sociales liées à la communauté. L’une de ces entreprises a comme mandat de construire d’autres petites maisons, dont certaines d’une superficie pouvant aller jusqu’à 350 pieds carrés, qui seront vendues comme maisons simples ou logements supplémentaires. Cinquante minimaisons construites selon les plans originaux ont été commandées par un groupe sans but lucratif de Miramichi qui prévoit construire un projet semblable à celui de 12 Neighbours.

(1810)

La semaine dernière, le Neighbourly Coffee — le joyau des entreprises sociales où l’on retrouve une boulangerie et une cuisine orientée sur la formation — a ouvert ses portes au public. Il est situé à l’intérieur d’un endroit qui sert de carrefour communautaire sans but lucratif. Mon mari et moi sommes déjà adeptes des cafés spécialisés et savoureux au menu du Neighbourly Coffee, et je prédis qu’il deviendra l’un des endroits préférés de la population locale. L’une des cuisinières qui y travaillent est une personne que j’ai rencontrée lorsqu’elle et son partenaire étaient en situation d’itinérance pendant la pandémie. Ces jours-ci, elle consacre son temps libre à concocter des casseroles de chili dans la cuisine de sa propre mini-maison afin d’en offrir à ses nouveaux voisins en guise de bienvenue.

Pour citer Marcel Lebrun, l’entrepreneur social et fondateur du projet 12 Neighbours : « J’ai compris le pouvoir d’avoir une raison d’être […] comment une situation de pauvreté mène à une identité de pauvreté. »

Marcel croit fermement en la philosophie du logement d’abord, c’est-à-dire la notion selon laquelle, prenant appui sur des recherches, placer les gens dans une habitation où ils sont en sécurité et confortables et qui leur procure un sentiment d’accéder à la propriété ouvre la voie vers leur accès à d’autres services.

Comme il l’a déclaré lors d’une récente entrevue avec le Globe and Mail: « C’est un investissement dans les gens plutôt que dans des mesures de secours d’urgence. »

Il a ajouté :

« Quand on sort une personne de la rue, où elle consacrait tout son temps à chercher de la nourriture, et que vous l’installez dans une maison, cette personne peut enfin commencer à avancer sur le chemin de la guérison de leurs traumatismes. »

Marcel, félicitations pour le succès de votre projet 12 Neighbours.

Merci. Wela’lin.

[Français]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Martin Théberge, président de la Société Nationale de l’Acadie, ainsi qu’Émilie Caissie-Richard, directrice générale par intérim de la Société Nationale de l’Acadie. Ils sont les invités des honorables sénateurs Cormier et Aucoin.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le Mois de la fierté

L’honorable René Cormier : Chers collègues, en ce Mois de la fierté et en ce Mois national de l’histoire autochtone, je tiens à reconnaître que je prends la parole depuis le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.

Ce mois est l’occasion de célébrer la richesse de l’histoire, du patrimoine, de la résilience et de la diversité des Premières Nations, des Inuits et des Métis, et de remercier toutes les personnes membres des peuples autochtones s’identifiant comme bispirituelles qui partagent avec générosité leurs réalités et leurs visions du monde.

[Traduction]

Comme l’a dit Alex Wilson, un enseignant bispirituel de la nation crie d’Opaskwayak :

L’identité bispirituelle consiste à retrouver sa place, à réclamer, à réinventer et à redéfinir ses débuts, ses racines, ses communautés, ses systèmes de soutien et sa nature collective et individuelle.

Le Mois de la fierté est en effet l’occasion de réfléchir aux systèmes de soutien qui aident les communautés 2ELGBTQIA+ à prospérer.

[Français]

Aujourd’hui, je veux rendre hommage aux alliés et particulièrement aux parents qui font preuve d’écoute et de compassion et qui accompagnent avec amour leurs enfants dans ce parcours difficile d’affirmation de leurs différences. Merci aux sénatrices et sénateurs parents, soit Diane Bellemare, Paula Simons, Marty Deacon et Marc Gold, ainsi qu’à tous les parents.

[Traduction]

À une époque où les questions d’orientation sexuelle, d’identité de genre et d’expression de genre font l’objet de vives tensions au pays en raison de la montée sans précédent de la haine envers les communautés 2ELGBTQIA+, nous sommes à la croisée des chemins. Nous devons faire acte de présence, prendre la parole et agir, car la violence n’a pas sa place au Canada, la haine n’a pas sa place dans les provinces, les territoires, les régions et les municipalités, et la discrimination et l’intimidation n’ont pas leur place dans les écoles.

Chaque être humain est précieux et mérite le respect, quel que soit son âge, son orientation sexuelle, son identité ou son expression de genre.

Aux parents et à ceux qui travaillent dans les écoles pour aider les enfants à affirmer leur identité : sachez que vous n’êtes pas seuls. Nous sommes là et nous continuerons à travailler à vos côtés pour assurer le bien-être de tous les jeunes qui s’identifient comme membres de la communauté queer.

Il s’agit d’une responsabilité collective, chers collègues. Que l’on soit membre de la communauté queer, allié ou simple citoyen, la saison de la fierté est le moment idéal pour manifester notre soutien et travailler ensemble avec compassion.

[Français]

Comme le chantait le grand auteur-compositeur québécois Jean-Pierre Ferland, qui est décédé récemment : « Une chance qu’on s’a; une chance qu’on s’aime ».

[Traduction]

J’ajouterais que nous sommes très chanceux de vivre dans ce magnifique pays.

Alors, continuons de nous épauler les uns les autres. Continuons de nous aimer les uns les autres, habités par la conviction que l’égalité, la diversité, l’inclusion et la liberté sont des valeurs chères à tous les Canadiens. Engageons-nous à vivre selon ces valeurs 365 jours par année.

Bonne saison de la fierté. Merci. Meegwetch.

[Français]

La fête nationale du Québec

L’honorable Tony Loffreda : Honorables sénateurs, dans quelques jours, ce sera le 24 juin.

Ce sera un grand jour de célébrations et de commémorations pour les Québécois et pour l’ensemble des francophones du pays.

Alors qu’au Québec nous nous rassemblerons pour célébrer notre fête nationale, ailleurs au pays, les francophones et les francophiles fêteront la Saint-Jean-Baptiste.

Ce sera l’occasion parfaite pour nous de mettre en valeur notre riche patrimoine francophone et de célébrer les nombreuses contributions des Québécois, des Canadiens français et des immigrants de la francophonie au paysage culturel de notre pays.

Ensemble, nous formons un peuple fort, résilient et manifestement fier de son héritage.

Le 24 juin nous rappelle aussi à quel point notre histoire et notre culture ont servi à bâtir des ponts avec le reste du Canada, à traverser les générations et les époques et à contribuer au dynamisme multiculturel de notre pays. Malgré ses divers accents et ses dialectes régionaux, le français est le fil conducteur qui fait briller en nous cette fierté d’être francophone.

Parlé d’un bout à l’autre du pays et à chaque coin du monde, le français demeure l’une des langues les plus réconfortantes, chaleureuses et contagieuses au monde.

Selon l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), il y a 321 millions de francophones dans le monde, dont plus de 10 millions au Canada.

Cinquième langue en importance, le français continue de séduire les citoyens du monde, alors que plus de 50 millions de personnes apprennent le français aujourd’hui.

[Traduction]

Chers collègues, grandir au Québec m’a ouvert bien des portes. Je vis au Québec depuis plus de 60 ans, et je serai toujours reconnaissant d’avoir eu le privilège d’apprendre le français, de vivre en français et de m’immerger dans la riche culture québécoise. Que vous soyez originaire du Québec ou non, que vous parliez français ou non, le bilinguisme du Canada est l’un de nos plus grands atouts.

[Français]

C’est à nous, fiers francophones, de veiller à ce que nous fassions tous les efforts nécessaires pour protéger, promouvoir et assurer la vitalité de notre langue et de notre culture.

Honorables sénateurs, en tant que parlementaires, c’est aussi notre devoir de faire en sorte que le fait français à l’échelle nationale soit respecté et valorisé.

Alors que nous poursuivons cet objectif, prenons quand même le temps de célébrer notre francophonie et de crier haut et fort cette fierté qui nous habite.

Bonne Saint-Jean et bonne fête nationale.


[Traduction]

AFFAIRES COURANTES

Audit et surveillance

Présentation du douzième rapport du comité

L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de présenter, dans les deux langues officielles, le douzième rapport (provisoire) du Comité permanent de l’audit et de la surveillance, qui porte sur la mise en œuvre du plan d’audit interne axé sur les risques.

(Le texte du rapport figure aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 2937.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?

(Sur la motion du sénateur Klyne, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

(1820)

[Français]

Le Sénat

Préavis de motion concernant les délibérations du projet de loi C-69

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle, et sans affecter les dispositions de l’ordre du 5 juin 2024 relativement aux délibérations sur le projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024 :

1.si le Sénat reçoit le projet de loi et l’adopte à l’étape de la deuxième lecture, il soit renvoyé au Comité sénatorial permanent des finances nationales;

2.le comité soit autorisé à se réunir aux fins de son étude du projet de loi C-69, même si le Sénat siège à ce moment-là, l’application de l’article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard;

3.le comité soit autorisé à faire rapport du projet de loi à tout moment au cours d’une séance du Sénat, à l’exception de la période des questions;

4.si le comité fait rapport du projet de loi sans amendement, le projet de loi soit inscrit à l’ordre du jour pour une troisième lecture plus tard au cours de cette séance, à condition que si le rapport est présenté après le moment où le Sénat aurait normalement traité du projet de loi à l’étape de la troisième lecture, le projet de loi soit pris en considération à l’étape de la troisième lecture immédiatement, ou, si une autre affaire est à l’étude au moment où le rapport est présenté, le projet de loi soit inscrit à l’ordre du jour pour une troisième lecture en tant que l’affaire suivante;

5.si le comité fait rapport du projet de loi avec amendement ou avec une recommandation que le Sénat abandonne l’étude du projet de loi :

a)le rapport soit inscrit à l’ordre du jour pour étude plus tard au cours de cette séance, à condition que si le rapport est présenté après le moment où le Sénat l’aurait normalement étudié, il soit pris en considération immédiatement ou, si une autre affaire est à l’étude au moment où le rapport est présenté, il soit inscrit à l’ordre du jour pour étude en tant que l’affaire suivante;

b)une fois que le Sénat a pris une décision sur le rapport, le projet de loi, s’il est encore devant le Sénat, soit pris en considération à l’étape de la troisième lecture immédiatement.

Projet de loi de crédits no 2 pour 2024-2025

Première lecture

Son Honneur la Présidente annonce qu’elle a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-74, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2025, accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 5 juin 2024, le projet de loi est inscrit à l’ordre du jour pour la deuxième lecture à la prochaine séance.)

[Traduction]

Projet de loi de crédits no 3 pour 2024-2025

Première lecture

Son Honneur la Présidente annonce qu’elle a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-75, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2025, accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 5 juin 2024, le projet de loi est inscrit à l’ordre du jour pour la deuxième lecture à la prochaine séance.)

L’Union interparlementaire

L’audition parlementaire annuelle aux Nations unies, tenue du 13 au 15 février 2023—Dépôt du rapport

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Union interparlementaire concernant l’audition parlementaire annuelle aux Nations unies, tenue à New York, dans l’État de New York, aux États-Unis, du 13 au 15 février 2023.

La réunion parlementaire à l’occasion de la soixante-septième session de la Commission de la condition de la femme, tenue les 7 et 8 mars 2023—Dépôt du rapport

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Union interparlementaire concernant la réunion parlementaire à l’occasion de la 67e session de la Commission de la condition de la femme, tenue à New York, dans l’État de New York, aux États‑Unis, les 7 et 8 mars 2023.

L’assemblée et les réunions connexes, tenues du 11 au 15 mars 2023—Dépôt du rapport

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Union interparlementaire concernant la 146e Assemblée de l’UIP et les réunions connexes, tenues à Manama, à Bahreïn, du 11 au 15 mars 2023.

Le Forum parlementaire à l’occasion du Forum politique de haut niveau des Nations unies sur le développement durable, tenu le 18 juillet 2023—Dépôt du rapport

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Union interparlementaire concernant le Forum parlementaire à l’occasion du Forum politique de haut niveau des Nations unies sur le développement durable, tenu à New York, dans l’État de New York, aux États-Unis, le 18 juillet 2023.

L’assemblée et les réunions connexes, tenues du 23 au 27 octobre 2023—Dépôt du rapport

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Union interparlementaire concernant la 147e Assemblée de l’UIP et les réunions connexes, tenues à Luanda, en Angola, du 23 au 27 octobre 2023.

La réunion parlementaire à l’occasion de la soixante-huitième session de la Commission de la condition de la femme, tenue les 12 et 13 mars 2024—Dépôt du rapport

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Union interparlementaire concernant la réunion parlementaire à l’occasion de la 68e session de la Commission de la condition de la femme, tenue à New York, dans l’État de New York, aux États‑Unis, les 12 et 13 mars 2024.

Le Sénat

Préavis de motion tendant à dénoncer la condamnation à mort de Toomaj Salehi

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Sénat :

a)dénonce la condamnation à mort du musicien iranien et critique affiché du régime iranien, Toomaj Salehi;

b)exhorte le gouvernement du Canada à imposer des sanctions ciblées aux 31 juges, procureurs et enquêteurs des tribunaux révolutionnaires islamiques d’Iran figurant sur la liste « TOOMAJ », qui sont responsables des simulacres de procès, de torture et du traitement inhumain des manifestants et des dissidents politiques iraniens;

c)condamne l’apartheid fondé sur le sexe, les violations des libertés civiles, les assassinats, l’intimidation et les actes de violence commis par la République islamique à l’encontre du peuple iranien;

d)réaffirme son appui inconditionnel aux Iraniens qui défendent les droits de la personne et la démocratie dans le cadre du mouvement « Femmes, vie, liberté ».


PÉRIODE DES QUESTIONS

L’environnement et le changement climatique

La taxe sur le carbone

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader, lors de la période des questions de jeudi dernier, je vous ai interrogé sur la fuite à la CBC concernant le coût économique de la taxe sur le carbone. Il s’agit d’informations que le gouvernement Trudeau tentait désespérément de cacher aux Canadiens. La CBC a rapporté que la taxe sur le carbone coûtait 20 milliards de dollars à l’économie.

J’aurais dû savoir qu’il ne faut pas se fier à la CBC, qui protège toujours le gouvernement dans les médias. Le chiffre réel, corrigé pour tenir compte de l’inflation, est 30,5 milliards de dollars par an. Même la CBC n’a pas voulu en faire état. Cela représente environ 1 800 $ par famille au pays.

Comment le premier ministre et son ministre radical de l’Environnement et du Changement climatique ont-ils pu être aussi imprudents avec l’économie? Pourquoi ont-ils caché la situation?

(1830)

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Le gouvernement n’est ni insouciant par rapport à l’économie ni cachottier. Le fait est qu’une analyse complète du rapport du directeur parlementaire du budget et l’analyse complète par le gouvernement des coûts et des avantages de son régime de tarification du carbone démontrent clairement que, tout compte fait, la taxe sur la pollution — le régime de tarification du carbone — est une réponse économiquement efficace et responsable aux coûts réels des changements climatiques pour notre pays, voire pour notre planète.

Le gouvernement a publié des données qui confirment non seulement que la tarification de la pollution nous aidera à atteindre nos objectifs en ce qui concerne le climat, et représentera un tiers de l’ensemble de nos réductions d’émissions d’ici 2030, mais aussi que la mesure l’emporte largement sur le coût. Les changements climatiques devraient coûter 35 milliards de dollars à l’économie canadienne d’ici 2030, un coût qui pèsera sur les générations futures.

Le sénateur Plett : Sur quels calculs vous basez-vous, ceux du premier ministre incompétent ou ceux du ministre de l’Environnement radical?

Le ministre Guilbeault savait depuis le début que la taxe sur le carbone était du vandalisme économique. C’est pourquoi il a imposé le bâillon au directeur parlementaire du budget et lui a interdit de révéler les vrais chiffres, monsieur le leader. Pourquoi ce ministre de l’Environnement radical et cachottier est-il encore au Cabinet? S’il ne veut pas démissionner, monsieur le leader, pourquoi le premier ministre ne veut-il pas le congédier?

Le sénateur Gold : Vous pouvez inclure autant d’insultes que vous le voudrez dans vos questions, cela ne change rien au fait que le ministre de l’Environnement a la confiance du gouvernement actuel. Par ailleurs, comme je viens de le dire — et je continuerai de le dire —, de façon générale, l’inaction à l’égard des changements climatiques a un coût énorme et des répercussions qui représentent une menace existentielle pour notre économie et notre avenir. Le gouvernement prend des mesures pour lutter contre les changements climatiques, et il continuera de le faire.

L’honorable Leo Housakos : Sénateur Gold, vous et le gouvernement saviez depuis le début à quel point cette taxe était dévastatrice pour les Canadiens et pour notre économie. Vous saviez que le gouvernement Trudeau avait menti à ce sujet et qu’il avait dissimulé des faits, et vous avez rejeté les efforts des conservateurs visant à donner aux Canadiens ne serait-ce qu’une once de répit afin que les familles puissent prendre des vacances cet été. Le ministre Holland a même diabolisé les travailleurs canadiens qui veulent faire un voyage en voiture cet été, alors qu’ils ne peuvent se permettre rien d’autre après neuf ans de gouvernement Trudeau.

Vous avez menti en disant que le montant des remises que les Canadiens reçoivent est plus élevé que ce qu’ils paient pour la taxe. Le directeur parlementaire du budget a clairement indiqué que vous avez menti à propos de l’effet négatif sur notre économie, et vous avez tenté d’anéantir la crédibilité et l’intégrité du fonctionnaire qui voulait dire la vérité. C’est bien ce que le gouvernement n’a cessé de faire aux personnes qui veulent faire ce qui est juste — il cherche à les anéantir.

Allez-vous enfin faire ce qui s’impose, abolir la taxe et accorder un répit aux Canadiens?

Le sénateur Gold : Vous semblez toujours revenir au même refrain usé, sénateur Housakos. Je ne vais pas répéter ce que vous avez dit ni utiliser le même vocabulaire visant à dénigrer, mais aussi à présenter essentiellement sous un faux jour, l’intégrité de fonctionnaires et du gouvernement. Je n’utiliserai pas le même vocabulaire, mais vous induisez sciemment le Sénat en erreur à des fins strictement partisanes et électoralistes. Si tel est le rôle du Sénat selon vous — c’est le cas, comme l’indique clairement votre comportement; après tout, on juge quelqu’un à ses actes —, nous pouvons être respectueusement en désaccord.

J’espère que les Canadiens qui sont à l’écoute et nos collègues sénateurs pensent que nous avons des choses plus importantes à faire que simplement répéter les mêmes rengaines électoralistes à des fins partisanes et électoralistes.

Le sénateur Housakos : Sénateur Gold, les Canadiens en ont assez que le gouvernement fasse obstacle au directeur parlementaire du budget qui dit la vérité — voilà ce qu’ils trouvent usé — ou à des mesures comme la motion présentée à la Chambre la semaine dernière pour exiger que le gouvernement Trudeau remette toutes les données indiquant que vous connaissiez depuis le début les effets dévastateurs de cette taxe sur l’économie canadienne. Ce sont les données que le ministre Guilbeault a essayé de camoufler avant de s’en prendre au directeur parlementaire du budget lorsque ce dernier a voulu révéler la vérité. En passant, le directeur parlementaire du budget est embauché par le gouvernement.

Sénateur Gold, pourquoi M. Guilbeault n’a-t-il pas été congédié? Le gouvernement réserve-t-il ce traitement seulement aux personnes qui disent la vérité? Pourquoi le gouvernement ne respecte-t-il pas les conclusions...

[Français]

Son Honneur la Présidente : Merci, sénateur Housakos, mais j’aimerais bien que vous respectiez l’ordre et le décorum quand je me lève.

[Traduction]

Le sénateur Gold : Le gouvernement du Canada s’en tient à son analyse : les mesures qu’il prend pour lutter contre les changements climatiques, ce qui inclut une tarification de la pollution, sont responsables et prudentes.

Encore une fois, présenter sous un faux jour la position du gouvernement ne rend aucunement service aux Canadiens.

La justice

Le contrôle coercitif

L’honorable Kim Pate : Sénateur Gold, la semaine dernière, l’autre endroit a appuyé à l’unanimité des efforts pour lutter contre le contrôle coercitif. Aujourd’hui, les représentants de 250 organisations féministes demandent aux sénateurs de dénoncer eux aussi les tactiques utilisées pour attaquer les mères qui essaient d’échapper, avec leurs enfants, à une relation contrôlante et parfois violente et les accuser d’aliénation parentale.

Une foule de soi-disant experts expose des enfants à un risque d’actes de violence supplémentaires en permettant à des pères violents d’adopter une pratique alarmante qui consiste à accuser systématiquement les mères qui essaient de protéger leurs enfants d’être un parent aliénant. Cela arrive surtout quand les enfants disent qu’ils ne veulent pas vivre avec leur père violent.

En avril, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes et les filles a publié un rapport appelant tous les États, dont le Canada, à légiférer pour mettre fin aux accusations d’aliénation parentale.

Sénateur Gold, le gouvernement souscrit-il à cette recommandation?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie pour votre question et pour votre engagement dans ce dossier.

Chers collègues, je tiens à préciser que le comportement coercitif et contrôlant est manipulateur, dangereux et met effectivement des vies en danger. Il y a une épidémie de violence fondée sur le genre au Canada, et il faut en faire beaucoup plus pour assurer la sécurité des femmes et de leur famille.

Cela dit, je ne suis pas en mesure de commenter la position du gouvernement en ce qui concerne la recommandation de la rapporteuse spéciale des Nations unies. Cependant, je ne manquerai pas de porter cette recommandation à l’attention du ministre.

La sénatrice Pate : Merci, sénateur Gold, je vous en serais reconnaissante.

Au même titre qu’il s’est efforcé de protéger les victimes de violence avec la réforme du droit de la famille de 2019, nous espérons que le gouvernement entendra l’appel de ces organismes et mettra fin à la pratique préjudiciable et non scientifique des accusations d’aliénation parentale d’ici les prochaines élections.

Puis-je compter sur vous pour nous soutenir dans cette démarche?

Le sénateur Gold : Merci. Je vais certainement souligner ce point lorsque je soulèverai cette question auprès du ministre.

[Français]

Les affaires mondiales

Les sanctions économiques

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Sénateur Gold, depuis deux ans et demi, soit depuis la mort suspecte de Mahsa Amini à Téhéran, le Canada a imposé des sanctions à 200 Iraniens et à 250 organisations de ce même pays étant donné leur complicité avec le régime iranien, notamment dans la répression du peuple ou dans l’atteinte à la paix et à la sécurité internationale. Or, il semble qu’au-delà de l’annonce des personnes visées par ces sanctions, il y a peu ou pas de résultats concrets, notamment des saisies de fonds bancaires ou des expulsions du Canada. Qu’en est-il exactement?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question. Le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant l’Iran interdit les transactions liées aux personnes et autres entités inscrites sur la liste en gelant de fait tous les actifs qu’elles pourraient avoir au Canada. Il est interdit aux personnes au Canada et aux Canadiens à l’étranger d’effectuer des opérations sur les biens des personnes sur la liste, et ces dernières sont également interdites de territoire au Canada en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Les interdictions spécifiques sont énoncées dans le règlement.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci de m’avoir lu le règlement, mais ma question visait à savoir si on a gelé les avoirs. A-t-on gelé les avoirs? A-t-on expulsé du Canada des personnes qui ont fait l’objet de sanctions? On sait qu’une enveloppe de 76 millions de dollars est consacrée à ce programme; y a-t-il eu des résultats concrets? Si vous n’avez pas les réponses, pourrais-je avoir un résumé écrit de ce qui a été fait concrètement sur ces questions?

Le sénateur Gold : Merci pour la question. La ministre des Affaires étrangères est chargée de l’administration et de l’application de la Loi sur les mesures économiques spéciales et de ses règlements. Cependant, l’un des rôles de la GRC en vertu de cette loi consiste à recueillir de l’information sur les biens en la possession ou sous le contrôle d’une personne désignée. Je comprends que la GRC diffuse régulièrement des communiqués de presse contenant des informations sur les biens détenus ou contrôlés par une personne désignée qui ont été saisis ou bloqués.

(1840)

[Traduction]

Les finances

Le taux d’inclusion des gains en capital

L’honorable Robert Black : Sénateur Gold, il y a deux semaines, je vous ai demandé si le gouvernement est conscient des effets négatifs que l’augmentation de l’impôt sur les gains en capital aura sur les familles agricoles. Vous avez répondu que le gouvernement est conscient des effets et que c’est la raison pour laquelle il augmente de 25 % l’exonération cumulative des gains en capital s’appliquant aux gains en capital sur la vente d’une petite entreprise ou de biens agricoles. Or, selon les Producteurs de grains du Canada, l’exploitation céréalière canadienne moyenne réalisera, à vie, des gains en capital qui dépasseront facilement les 1,25 million de dollars pour lesquels une exonération est proposée et paiera donc l’impôt accru pour ses gains supplémentaires. En outre, la plupart des jeunes agriculteurs qui prennent les rênes de l’entreprise familiale ne seront pas admissibles à l’incitatif aux entrepreneurs canadiens proposé.

À la lumière de ces répercussions de l’impôt sur les gains en capital, quelles mesures supplémentaires le gouvernement envisage-t-il de prendre pour soutenir adéquatement les familles agricoles et les jeunes agriculteurs?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de vos questions. Vous le savez, chers collègues, le gouvernement a créé de nombreux programmes pour les agriculteurs et les éleveurs. Même si je ne pourrais les nommer tous, je vais donner quelques exemples : le programme Agri‑investissement, qui aide à gérer les baisses de revenu et à faire des investissements dans le but d’atténuer les risques; le programme Agri-protection, qui offre une protection contre les pertes de production provoquées par des catastrophes comme la grêle, les sécheresses, les inondations, les maladies et autres menaces qui existent au Canada; le programme Agri-stabilité, qui offre des protections contre les baisses de revenus agricoles attribuables à la baisse des cours, à la hausse du prix des intrants et aux pertes de production. Ce ne sont que quelques-uns des programmes offerts. Je ne suis pas au fait de mesures supplémentaires que le gouvernement envisagerait de mettre en place en réponse au problème dont vous avez parlé.

Le sénateur Black : Sénateur Gold, les données indiquent que le Canada perd de 700 à 1 000 fermes familiales chaque année. Comme les mesures proposées dont vous venez de parler et celles que vous aviez mentionnées précédemment ne sont peut-être pas suffisantes pour répondre aux problèmes financiers auxquels les familles agricoles et les jeunes agriculteurs doivent faire face, en particulier dans les grandes exploitations, quand votre gouvernement se réveillera-t-il et mettra-t-il en place des solutions viables pour s’assurer que ces joueurs essentiels du secteur agricole canadien ne soient pas touchés de façon disproportionnée par l’impôt sur les gains en capital?

Le sénateur Gold : Merci de votre question. Comme je l’ai dit, à ce que je sache, le gouvernement ne prévoit pas de modifier quoi que ce soit au sujet de l’impôt sur les gains en capital. Le gouvernement est conscient que cette mesure touchera certains segments de l’économie et de la société, notamment les agriculteurs, mais pas qu’eux, et il ne considère pas qu’elle aura un effet disproportionné sur quiconque.

Les relations Couronne-Autochtones

L’autodétermination des Autochtones

L’honorable Marty Klyne : Juin est le Mois national de l’histoire autochtone et, comme mes collègues au Sénat le savent, il permet de sensibiliser le public à l’histoire des Premières Nations, des Inuits et des Métis sur l’ensemble du territoire aujourd’hui connu sous le nom de Canada. Il est essentiel de connaître cette histoire pour comprendre le présent et se comprendre les uns les autres. De nombreux Canadiens ne comprennent peut-être pas tout à fait ce que représentent les traités, ni le fait que le Canada et la Nation métisse de la Saskatchewan négocient actuellement un traité moderne.

Une fois ratifié par les citoyens de la Nation métisse de la Saskatchewan, un projet de loi fédéral sera présenté pour mettre en œuvre l’accord qui confirme le droit à l’autodétermination de la Nation métisse de la Saskatchewan et la relation issue du traité. Sénateur Gold, le gouvernement s’engagera-t-il à veiller à ce que ce projet de loi anticipé soit présenté au Parlement en temps opportun à notre retour cet automne?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Sénateur, je vous remercie d’avoir posé cette question et d’avoir soulevé ce point important.

Le gouvernement s’est engagé à se réconcilier avec les Autochtones en établissant des relations de nation à nation, de gouvernement à gouvernement et entre les Inuits et la Couronne renouvellées et fondées sur la reconnaissance des droits, du respect, de la coopération et du partenariat en tant que fondement d’un changement transformateur.

Cela dit, je ne suis pas en mesure d’émettre des hypothèses sur la date à laquelle le projet de loi sera présenté, le cas échéant.

Le sénateur Klyne : Sénateur Gold, le plan d’action de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones publié l’an dernier cerne les priorités des Métis, l’une d’entre elles étant que le Canada reconnaisse et soutienne les droits des Métis à l’autodétermination. Cheminer sur la voie de la réconciliation prend souvent du temps. Cela dit, il y a actuellement des négociations avec les Métis, comme le prévoit le plan d’action. Les Canadiens peuvent-ils espérer que notre grande nation de nations est effectivement en train de progresser vers de meilleures relations et un avenir plus prometteur?

Le sénateur Gold : Vous avez raison de souligner, monsieur le sénateur, que ce processus se déroule dans le temps. Des avancées positives ont été faites au cours des dernières décennies et le travail se poursuit.

Le gouvernement collabore avec des partenaires des Premières Nations, Inuits et Métis afin de cerner des priorités concernant les changements à apporter aux lois canadiennes pour tenir compte de la déclaration, ainsi que la reddition de comptes que le Canada devra faire au sujet de la mise en œuvre. On m’a assuré que le gouvernement demeurera résolu à mettre la déclaration en œuvre intégralement et efficacement.

[Français]

L’environnement et le changement climatique

La taxe sur le carbone

L’honorable Claude Carignan : Monsieur le leader, la semaine dernière, à la suite des pressions du Parti conservateur, le gouvernement a dévoilé les chiffres sur l’impact économique de la fameuse taxe sur le carbone. Cette taxe coûtera 5 milliards de dollars à l’économie québécoise et 30,5 milliards de dollars à l’économie du Canada. Ces données ont été fournies au directeur parlementaire du budget à la condition sine qua non qu’il ne les révèle pas. Sénateur Gold, pourquoi le gouvernement a-t-il insisté pour faire taire le directeur parlementaire du budget, un agent du Parlement? Aviez-vous peur de la vérité?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénateur de sa question. Comme je l’ai expliqué, ce qui était fourni à l’agent du Parlement n’était pas une analyse complète, selon ma compréhension, mais seulement les chiffres qui traitaient d’un seul aspect de la situation autour du prix de la pollution. Comme le directeur parlementaire du budget l’a déclaré au National Post aujourd’hui, il ne lui était pas interdit de divulguer toute l’information. Cette information, qui était une partie d’une analyse, n’était pas une analyse complète, et c’est pour cette raison que cela n’a pas été divulgué.

Le sénateur Carignan : Donc, vous confirmez non seulement que Steven Guilbeault a caché la vérité aux Québécois et aux Canadiens, mais la conséquence de tout cela, c’est qu’il a également menti sur le coût de la taxe sur le carbone, alors qu’il disait que le coût serait nul et sans impact économique. Est-ce que le ministre va démissionner, et quand?

Le sénateur Gold : Il ne va pas démissionner. Il n’a pas menti. Comme je l’ai dit avec respect, si vous ajoutez le coût de ne rien faire par rapport au climat, si on continue de dire « axe the tax », comme vous continuez de le répéter, si on n’ajoute pas non plus l’argent qui est retourné aux Canadiens, qui représente une dizaine de millions de dollars chaque année, à ce moment-là, on en arrive à un portrait qui est juste et approprié.

[Traduction]

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Monsieur le leader, à la page 26 de la plateforme électorale libérale de 2015, on peut lire : « Le gouvernement et l’information à sa disposition doivent être accessibles par défaut. Les données financées par les Canadiennes et les Canadiens leur appartiennent. »

Nous voilà neuf ans plus tard, et le ministre de l’Environnement s’est fait prendre à tenter d’empêcher le directeur parlementaire du budget de révéler la vérité au sujet de la taxe sur le carbone. De même, monsieur le leader, vous n’avez pas voulu vous engager à déposer une réponse lorsque je vous ai demandé la semaine dernière combien de fois le directeur parlementaire du budget et d’autres mandataires du Parlement se sont fait demander de garder le silence par le gouvernement Trudeau.

Monsieur le leader, y a-t-il d’autres rapports ou base de données au sujet de la taxe sur le carbone que le gouvernement cache aux Canadiens, dont l’argent a servi à payer ces informations?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Encore une fois, et avec tout le respect que je vous dois, il est clair que vous avez le droit de continuer à dire ce que vous voulez et de ne pas tenir compte de mes réponses. Toutefois, le fait est que les informations qui ont été fournies et qui sont régulièrement fournies par le gouvernement ou commandées pour le gouvernement font l’objet d’une analyse complète et responsable des coûts et des avantages.

Je vais citer les propos du directeur parlementaire du budget. Je crois qu’il s’agit d’une réponse qu’il a donnée au comité aujourd’hui. Il a dit :

Le gouvernement ne me muselle pas. Évidemment, je faisais allusion aux données qui m’avaient été remises, à moi et à mon bureau, que le gouvernement ou Environnement et Changement climatique Canada [...]

La sénatrice Martin : Nous pouvons choisir d’avoir un point de vue différent sur la question, mais, monsieur le leader, comment concilier la consigne du silence imposée par le ministre Guilbeault au directeur parlementaire du budget avec la promesse faite par le gouvernement Trudeau en 2015 d’un gouvernement ouvert par défaut? Si la transparence et la responsabilité ont un sens pour votre gouvernement, comment expliquer les efforts du ministre Guilbeault pour garder le rapport secret et sa tentative de discréditer le directeur parlementaire du budget?

Le sénateur Gold : Personne ne tente de discréditer le directeur parlementaire du budget. Le gouvernement a clairement indiqué dans son analyse et dans ses conclusions que la tarification de la pollution, lorsque tous les facteurs sont pris en compte — les remises accordées aux Canadiens, les investissements réalisés au Canada, et le risque de perdre des investissements en capital si nous ne mettons pas en place une politique crédible de lutte contre les changements climatiques —, est la politique la plus adaptée au marché et la plus appropriée pour le gouvernement actuel, pour n’importe quel gouvernement, et pour notre pays.

(1850)

La sécurité publique

Le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement

L’honorable Percy E. Downe : Sénateur Gold, comme vous le savez, le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement est un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes. Tous les chefs à la Chambre des communes ont eu l’occasion de lire le rapport du comité non caviardé et, le cas échéant, de prendre les mesures qui s’imposent. Je fais confiance aux quatre leaders des différents groupes du Sénat pour lire le rapport, respecter les principes du secret et, si nécessaire — et c’est un grand si —, prendre les mesures qui s’imposent. Ils comprennent tous les règles d’éthique du Sénat, et leur responsabilité est de maintenir les normes de comportement les plus élevées. Pourquoi les leaders du Sénat n’ont-ils pas le droit de lire le rapport? J’ai confiance en ces sénateurs. Pourquoi le gouvernement ne leur fait-il pas confiance?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. Comme je l’ai dit, le gouvernement examine attentivement la possibilité d’élargir l’accès pour inclure les leaders du Sénat, et les sénateurs peuvent avoir l’assurance que, lorsque j’aurai plus d’information à ce sujet, je communiquerai la décision aux leaders du Sénat. À l’heure actuelle, conformément au processus recommandé par le rapporteur spécial, les chefs de parti à la Chambre des communes sont inclus, notamment parce qu’ils ont des responsabilités à assumer et des comptes à rendre en ce qui a trait à la surveillance de différents aspects du processus démocratique et des partis politiques à l’échelle nationale, notamment le processus de nomination.

Je tiens par ailleurs à préciser qu’on a également demandé à la commission responsable de l’Enquête publique sur l’ingérence étrangère d’examiner le contenu du rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, et pas plus tard qu’aujourd’hui, la commission a parlé publiquement de la décision du gouvernement de recourir à une commission d’enquête indépendante pour faire la lumière sur les faits.

Le sénateur Downe : Sénateur Gold, des soupçons pèsent sur tous les sénateurs. D’ailleurs, pas plus tard que la semaine dernière, un journaliste a remis en question la loyauté d’un de nos collègues. Pour dissiper ces soupçons, le gouvernement a deux choix. Il peut annoncer qu’aucun sénateur n’est nommé parmi les parlementaires qui, selon le rapport, auraient eu une conduite déloyale envers le Canada, ou alors laisser les quatre leaders du Sénat lire la version non expurgée du rapport que tous les chefs de parti à la Chambre des communes ont pu lire. Que choisit-il? Le gouvernement ne peut pas continuer de traiter le Sénat de cette façon.

Le sénateur Gold : Comme je l’ai déjà dit — et je continuerai de le dire —, le gouvernement examine notre demande d’élargir l’accès pour inclure les leaders du Sénat, et lorsque le gouvernement aura pris une décision, j’informerai les leaders du Sénat en conséquence.

L’environnement et le changement climatique

La taxe sur le carbone

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader, en ce qui concerne les gestes que pose le ministre Guilbeault, en fin de compte, nous savons qu’il ne fait rien qui n’est pas déjà approuvé par le premier ministre, rien du tout. Dès le début, les conservateurs pleins de bon sens ont demandé au gouvernement Trudeau de publier tous les documents sur le coût réel de la taxe sur le carbone dans leur forme originale et non censurée. Dès le début, bien avant que le ministre Guilbeault ne soit nommé à son poste, ce gouvernement incompétent et cachottier a tenté de cacher la vérité aux Canadiens. Étant donné que le ministre Guilbeault ne veut pas démissionner et que le premier ministre ne veut pas le renvoyer, il faut offrir aux Canadiens des élections sur la taxe sur le carbone, n’est-ce pas, monsieur le leader?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Ce qu’il faut offrir aux Canadiens, c’est une discussion adulte sur la manière dont nous devons investir pour lutter contre les changements climatiques. Ce qu’il faut offrir aux Canadiens, aux entreprises canadiennes, au secteur pétrolier et à tous les secteurs de l’économie, c’est un plan, un programme et une mesure législative pour que le Canada puisse continuer à attirer les investissements étrangers, qui exigent de plus en plus que les pays et les entreprises aient des plans sérieux pour parvenir à la carboneutralité. Voilà ce qu’il faut offrir aux Canadiens. C’est ce dont les entrepreneurs canadiens et les marchés financiers ont besoin. Selon les économistes, c’est ce dont nous avons besoin.

Ce dont nous n’avons pas besoin, c’est ce à quoi nous semblons être exposés dans cette discussion pas très adulte sur une question pour ainsi dire existentielle.

Le sénateur Plett : Si nous voulons tenir une discussion adulte, il faudrait qu’un adulte occupe le poste de premier ministre, et non un moniteur de planche à neige. Les Canadiens connaissent déjà le coût de la taxe sur le carbone. Ils le constatent chaque fois qu’ils font l’épicerie ou qu’ils font le plein pour se rendre au travail. Chaque jour, le coût de la vie augmente. L’année dernière, le ministre Guilbeault a déclaré qu’il n’y aurait plus d’exemption de la taxe sur le carbone tant qu’il serait ministre. Il se soucie plus de son poste que de la crise de l’abordabilité. Voilà une raison de plus de tenir des élections sur la taxe sur le carbone, n’est-ce pas, monsieur le leader?

Le sénateur Gold : Le compte rendu montrera que j’ai répondu à cette question à maintes reprises. Je vais donc simplement résumer, encore une fois, mes propos : il n’existe aucune preuve crédible que la taxe sur la pollution a eu une incidence importante sur le prix des aliments ou sur d’autres mesures avec lesquelles les Canadiens doivent toujours composer. Encore une fois, je ne peux qu’exposer les faits et laisser les autres les juger en conséquence.

Les affaires mondiales

Le Myanmar—L’aide aux réfugiés rohingyas

L’honorable Marilou McPhedran : Sénateur Gold, depuis 2017, plus d’un million de Rohingyas ont été déplacés en raison de la violence militaire de la Tatmadaw au Myanmar. En mai, l’ONU a annoncé avoir reçu des rapports inquiétants et troublants de nouveaux actes de violence, y compris des décapitations, perpétrés dans l’État de Rakhine contre des civils rohingyas par la Tatmadaw et l’armée de l’Arakan.

Le budget de 2024 du gouvernement ne prévoit pas de renouvellement de la stratégie pluriannuelle du Canada dans le cadre de laquelle le pays fournit une aide humanitaire ciblée aux réfugiés rohingyas, notamment pour la santé et l’éducation des filles et des femmes qui se trouvent actuellement dans des camps au Bangladesh. Sans fonds, les Rohingyas n’ont accès ni à l’éducation ni aux soins de santé. Sénateur Gold, le Canada a-t-il abandonné les Rohingyas?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question et de nous rappeler la situation horrible dans laquelle se trouvent les Rohingyas. Le Canada n’a pas abandonné les Rohingyas. Je ne manquerai pas de faire part de vos préoccupations à la ministre au sujet des mesures du budget dont vous avez parlé.

La sénatrice McPhedran : Sénateur Gold, le génocide et la guerre civile ont déplacé plus de 1,2 million de Rohingyas. Le rapport de l’actuel ambassadeur Bob Rae, alors qu’il était l’envoyé spécial du Canada au Myanmar, intitulé Dites-leur que nous sommes humains, a galvanisé le Canada pour qu’il prenne des mesures positives. J’ai visité les camps au Bangladesh et je peux témoigner des résultats positifs de l’aide canadienne. Pourquoi le Canada a-t-il décidé de cesser d’aider les femmes et les filles rohingyas?

Le sénateur Gold : Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question, sénatrice, mais je vais certainement en parler à la ministre.

Les finances

Le taux d’imposition

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader, ma prochaine question porte sur les changements à l’impôt sur les gains en capital. Lundi dernier, un communiqué du Fonds monétaire international, le FMI, a fait comprendre aux Canadiens que la hausse du taux d’inclusion des gains en capital n’est qu’un début. Ce gouvernement NPD-Trudeau gaspilleur et incompétent a besoin de beaucoup plus d’argent comptant pour payer ses dépenses hors de contrôle, et le FMI recommande d’augmenter la TPS.

Monsieur le leader, maintenant que la ministre des Finances a réalisé la première partie du plan du FMI, quand les Canadiens peuvent-ils s’attendre à la deuxième partie? Est-ce qu’une hausse de la TPS est envisagée, oui ou non?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je ne suis pas au courant de plans concernant la TPS. Cette décision d’augmenter le taux d’inclusion des gains en capital était, selon le gouvernement, une mesure responsable visant à assurer plus de justice et d’équité au sein de notre régime fiscal.

Le sénateur Plett : Les prévisions du budget du gouvernement Trudeau, qui date de deux mois à peine, indiquent que le moindre dollar perçu en TPS pendant cet exercice, c’est-à-dire 54,1 milliards de dollars, a déjà été affecté. Tout, jusqu’au dernier sou. Ces 54,1 milliards de dollars vont uniquement servir à couvrir les intérêts sur la dette massive du gouvernement néo-démocrate. C’est tout. Une question s’impose, donc : quelles autres hausses d’impôts surprises nous attendent, monsieur le leader?

Le sénateur Gold : Je ne suis pas au courant d’autres hausses d’impôts ou d’autres surprises, et si le gouvernement à d’autres projets de loi à présenter ou à annoncer, je suis persuadé que nous serons les premiers à le savoir.


(1900)

ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’article 4-12(3) du Règlement, j’informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l’ordre suivant : la deuxième lecture du projet de loi C-70, suivie de la troisième lecture du projet de loi C-58, suivie de la troisième lecture du projet de loi C-50, suivie de la troisième lecture du projet de loi C-59, suivie de tous les autres articles dans l’ordre où ils figurent au Feuilleton.

Projet de loi sur la lutte contre l’ingérence étrangère

Deuxième lecture

L’honorable Tony Dean propose que le projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, aujourd’hui, je suis heureux de prendre la parole en tant que parrain du projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère, qui a reçu un rare appui unanime à l’autre endroit.

Au cours des derniers mois, nous avons appris que l’ingérence étrangère constitue l’une des plus grandes menaces à la société canadienne, à notre prospérité économique et notre souveraineté. D’ailleurs, nous l’avons entendu la semaine dernière à notre séance du Comité de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants.

Chers collègues, dans sa forme actuelle, ce projet de loi amorce le processus de fournir aux forces de l’ordre et aux services de renseignement les outils et les pouvoirs accrus dont ils ont besoin afin de renforcer notre capacité de détecter et de neutraliser l’ingérence étrangère de manière à mettre fin aux menaces qu’elle représente pour notre sécurité nationale. De plus, il veille à assurer la surveillance et la transparence appropriées.

Chers collègues, le Canada n’est pas à l’abri de ce danger. En effet, nous sommes une cible idéale. Nous savons qu’un nombre croissant d’acteurs étrangers ont conçu et mis en œuvre des programmes consacrés à l’influence trompeuse en ligne et hors ligne dans le cadre de leurs stratégies pour nuire au Canada.

En 2019, avant une élection générale, le gouvernement avait annoncé le plan pour protéger la démocratie canadienne. Parmi les mesures comprises dans ce plan, il y a le Protocole public en cas d’incident électoral majeur, le Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections, l’Initiative de citoyenne numérique, le Mécanisme de réponse rapide du G7 et la Déclaration du Canada sur l’intégrité électorale en ligne. Ces mesures ont été mises en place pour les élections de 2019 dans le but de lutter contre toute tentative d’ingérence étrangère.

Plus tard, en 2022, les médias parlaient des fuites du Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, selon lesquelles la Chine se serait livrée à de l’ingérence étrangère lors des élections de 2019 et de 2021. À ce stade, il est devenu évident que les mesures mises en place étaient insuffisantes pour nous protéger contre l’ingérence de puissances étrangères lors des élections. C’est ce qui a poussé des comités de la Chambre des communes à étudier l’ingérence étrangère.

En mars 2023, le premier ministre a annoncé qu’il y aurait un certain nombre d’examens indépendants. On a demandé à l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement d’examiner la transmission des renseignements entre les agences de sécurité nationale et les décideurs lors des quarante-troisième et quarante-quatrième élections générales. Cet examen était axé sur la production et la diffusion d’information sur l’ingérence étrangère, y compris la manière dont elle était communiquée au sein du gouvernement.

Les principales recommandations de ce rapport sont les suivantes : rendre explicites les seuils et les pratiques du SCRS en matière de communication et de diffusion du renseignement concernant l’ingérence politique, ce qui comprendrait les niveaux pertinents de fiabilité, de corroboration, de contextualisation et de caractérisation nécessaires pour qu’il soit communiqué; énoncer clairement la tolérance au risque du SCRS afin de prendre des mesures contre les menaces d’ingérence politique; énoncer clairement toute exigence ou procédure particulière qui s’appliquerait durant les périodes électorales ou préélectorales, le cas échéant, y compris des procédures particulières pour la diffusion en temps opportun du renseignement sur l’ingérence politique étrangère; et examiner les meilleures pratiques des partenaires internationaux, y compris le Groupe des cinq, en ce qui concerne les enquêtes et la communication du renseignement sur l’ingérence politique étrangère.

Le premier ministre a également demandé que le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement « effectu[e] un examen pour évaluer l’état de l’ingérence étrangère dans les processus électoraux fédéraux » en ce qui a trait aux :

[...] tentatives d’ingérence étrangère qui ont eu lieu lors des 43e et 44e élections générales fédérales, y compris leurs répercussions possibles sur la démocratie et les institutions canadiennes.

Le Comité a publié son rapport sur l’ingérence étrangère au début du mois de juin. Trois de nos collègues sénateurs sont membres de ce comité.

S’appuyant sur son rapport de 2019, qui était hautement instructif, le Comité a conclu ce qui suit :

Des États étrangers ont recours à des mesures d’ingérence sophistiquées et omniprésentes qui ciblent particulièrement les processus et institutions démocratiques du Canada; qui sont employées avant, pendant et après les élections; et qui visent tous les ordres de gouvernement. Ces activités continuent de faire peser une menace considérable sur la sécurité nationale et l’intégrité globale de la démocratie du Canada [...]

Le rapport du Comité indique que les principales tactiques employées sont les suivantes : influencer secrètement l’opinion et la position des électeurs, des communautés ethnoculturelles et des parlementaires; tirer parti des relations avec des Canadiens influents; exploiter les vulnérabilités décelées dans les modalités de gouvernance et d’administration des partis politiques; utiliser des cyberoutils dans l’atteinte d’objectifs précis; et exploiter les médias traditionnels, les réseaux sociaux et d’autres moyens numériques pour certaines activités d’ingérence étrangère.

Ces activités d’ingérence ont été menées par des diplomates étrangers, des agents des services de renseignement, des mandataires et des collaborateurs agissant au nom de l’État et ciblant tous les ordres de gouvernement, des groupes de la société civile, des communautés ethnoculturelles, des gens d’affaires et des journalistes.

À l’automne 2023, le gouvernement a lancé la Commission sur l’ingérence étrangère pour répondre aux préoccupations concernant l’ingérence étrangère lors des deux dernières élections. La commission a entendu directement des témoins dire que des acteurs étatiques étrangers surveillent, intimident et harcèlent des personnes dans de nombreuses communautés à travers le Canada, en particulier des membres de diverses diasporas. Des membres de ces communautés ont témoigné de leur expérience de l’ingérence étrangère ou de celle d’autres personnes, notamment de menaces à leur encontre ou à l’encontre de leur famille restée dans leur pays d’origine.

Enfin, le gouvernement a organisé des consultations publiques pour guider la création d’un registre pour la transparence en matière d’influence étrangère au Canada, ainsi que des consultations distinctes portant sur d’éventuelles modifications de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, du Code criminel, de la Loi sur la protection de l’information et de la Loi sur la preuve au Canada.

Chers collègues, nous sommes aux prises avec des défis juridiques, politiques et opérationnels, ainsi qu’à des défis en matière de sécurité nationale, très clairs, pressants et imminents, et nous devons agir.

C’est ce que propose le projet de loi C-70, qui renforcerait la capacité du Canada à détecter et à contrer l’ingérence étrangère et permettrait de mieux protéger les citoyens contre les menaces posées par toute influence étrangère malveillante.

L’un des éléments centraux de ce projet de loi est la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère, qui prévoit la création d’un registre. Le registre, comme il est énoncé à l’article 9 de la partie 4 du projet de loi, serait administré et appliqué par un commissaire à la transparence en matière d’influence étrangère, un titulaire indépendant nommé par le gouverneur en conseil, ce qui, soit dit en passant, le distingue de ses homologues australiens et britanniques.

Le paragraphe 9(2) exigerait que le gouvernement consulte, avant de nommer le commissaire, les leaders et les facilitateurs des partis ou des groupes parlementaires reconnus au Sénat, le chef de l’opposition à la Chambre des communes et le chef de chaque parti comptant au moins 12 députés dans cette chambre.

Cette disposition a été renforcée au cours de l’étude du comité de la Chambre des communes, où un amendement du NPD, approuvé à l’unanimité par le comité, a prévu que le commissaire soit approuvé par résolution du Sénat et de la Chambre des communes. Cet amendement renforce l’indépendance du commissaire tout en garantissant que le commissaire relève du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, au sein de l’appareil gouvernemental.

Le projet de loi définit les arrangements d’influence étrangère, à l’article 2 de la partie 4, comme des activités au titre desquelles :

[...] une personne s’engage à exercer, sous l’autorité d’un commettant étranger ou en association avec lui, l’une ou l’autre des activités ci-après à l’égard d’un processus politique ou gouvernemental au Canada [...]

a) communiquer avec le titulaire d’une charge publique;

b) communiquer ou diffuser ou faire communiquer ou diffuser par quelque moyen que ce soit, notamment les médias sociaux, des renseignements relatifs au processus politique ou gouvernemental;

c) distribuer de l’argent ou des objets de valeur, fournir des services ou mettre à disposition des installations.

(1910)

Cette définition est essentielle dans la mesure où certaines informations relatives à un « arrangement » seraient divulguées dans le registre. Les catégories d’informations à divulguer seraient définies par voie de règlement.

Pour conclure à l’existence d’un arrangement, il faudrait trois choses : que la personne agisse sous l’autorité d’un commettant étranger ou en association avec lui; que la personne exerce au moins une des activités d’influence étrangère énumérées dans la définition; que l’activité soit exercée à l’égard d’un processus politique ou gouvernemental au Canada.

En outre, le projet de loi définit « commettant étranger » ainsi :

L’entité économique étrangère, l’entité étrangère, l’État étranger ou la puissance étrangère, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la protection de l’information.‍

Cette définition est large et vise à englober les différentes manières dont les gouvernements étrangers détiennent le pouvoir.

Comme il est précisé à l’article 3 de la partie 4, le projet de loi a pour objet d’accroître la transparence à l’égard des efforts déployés par des acteurs étrangers pour s’ingérer dans nos processus politiques ou gouvernementaux ainsi qu’à y sensibiliser davantage le public.

En vertu du paragraphe 5(1) de la partie 4 :

Toute personne qui conclut un arrangement avec un commettant étranger est tenue, dans les quatorze jours suivant la date de la conclusion de l’arrangement, de fournir au commissaire les renseignements précisés par règlement.

La fenêtre pour communiquer les renseignements est de 14 jours, de façon à ce que la personne ait suffisamment de temps pour finaliser son arrangement et prendre les mesures nécessaires pour s’enregistrer.

Le projet de loi n’a pas pour objectif d’interdire la conclusion d’arrangements avec des commettants étrangers au Canada; il vise uniquement à faire en sorte que ces arrangements et les détails les entourant soient conclus en toute transparence.

Des amendements ont été proposés par le gouvernement pendant l’étude du comité de la Chambre des communes pour ajouter des dispositions transitoires visant à inclure les arrangements préexistants dans la portée de la loi et à assurer l’application de la loi aux arrangements avec des commettants étrangers visant des processus politiques ou gouvernementaux provinciaux, territoriaux ou autochtones. L’information concernant ces arrangements devrait être communiquée dans les 60 jours après l’entrée en vigueur de la loi.

La présence de sanctions administratives pécuniaires dans le projet de loi renforce la capacité du commissaire à exiger la conformité à la loi et dissuade les acteurs qui pourraient être tentés de trouver des moyens de se soustraire à leurs obligations en matière d’enregistrement.

L’article 23 de la partie 4 porte sur les infractions aux paragraphes 5(1) et 5(2) ou à l’article 7; cependant, au lieu de sanctions administratives pécuniaires, il prévoit que le commissaire aura la possibilité de traiter ces violations comme des infractions criminelles, sur lesquelles le service de police compétent pourra faire enquête.

Il est important de noter que les Canadiens pourront également consulter le registre en ligne pour voir si une personne ou une organisation avec laquelle ils sont entrés en contact est enregistrée comme une personne ou une organisation agissant sur l’ordre d’un commettant étranger ou en collaboration avec lui, ou si le commissaire lui a imposé une sanction pour ne pas avoir respecté ses obligations en matière d’enregistrement.

Enfin, un autre amendement présenté par le Bloc québécois a modifié la disposition relative à l’examen parlementaire quinquennal obligatoire et a reçu l’appui unanime des membres du comité. Grâce à cette nouvelle modification, la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère sera désormais examinée pendant la première année qui suivra des élections générales fédérales. Ainsi, les dispositions de cette loi resteront à jour par rapport aux menaces émergentes et aux défis que celles-ci posent.

Chers collègues, nous savons qu’il existe des formes légales et légitimes d’interaction avec des acteurs étrangers, y compris le lobbying, la défense des droits et des intérêts et les activités diplomatiques ordinaires. Ce projet de loi ne vise pas à limiter ces activités. Toutefois, nous savons également que des acteurs étrangers mènent des activités de façon non transparente en vue d’influencer nos processus politiques ou gouvernementaux. Ce projet de loi harmonisera nos pratiques avec les pratiques exemplaires internationales et celles de nos alliés du Groupe des cinq, dont la plupart ont mis en place leurs propres registres pour contrer l’influence étrangère malveillante.

Chers collègues, le registre serait une première étape importante pour répondre à la menace de l’ingérence étrangère, mais l’ingérence étrangère est une menace complexe pour la sécurité nationale qui nécessite une approche à multiples facettes. Comme je l’ai mentionné, le projet de loi C-70 contient également des modifications à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, au Code criminel, à la Loi sur la protection de l’information et à la Loi sur la preuve au Canada.

Examinons tout d’abord les dispositions de la partie 2 de la Loi sur la protection de l’information.

Les modifications apportées à la Loi sur la protection de l’information permettraient de mieux faire face aux risques d’ingérence étrangère au Canada et de garantir que les activités hostiles subreptices ou trompeuses — comme celles qui visent nos processus démocratiques, notamment la nomination des candidats politiques — soient érigées en infractions criminelles. Elles permettraient également de mieux lutter contre les menaces ou les violences transnationales commises par des États étrangers et par ceux qui travaillent en leur nom pour intimider les personnes qui vivent au Canada et leurs familles, où qu’elles se trouvent.

Le projet de loi modifie la Loi sur la protection de l’information en créant trois nouvelles infractions relatives à l’ingérence étrangère et en modifiant les infractions existantes relatives à l’intimidation, aux menaces et à la violence afin de les rendre plus adaptées aux menaces modernes. Voici les trois nouvelles infractions : commettre un acte d’ingérence étrangère d’ordre général pour une entité étrangère, commettre un acte criminel pour une entité étrangère ou commettre un acte d’ingérence politique pour une entité étrangère.

La première nouvelle infraction d’ingérence étrangère est d’ordre général : lorsqu’une personne a sciemment une conduite subreptice ou trompeuse — ou omet d’accomplir quelque chose — sur l’ordre d’une entité étrangère, en collaboration avec elle ou pour son profit. Un exemple de cette infraction serait de faciliter sciemment l’entrée au Canada d’agents d’une entité étrangère qui prétendent être des touristes.

Deuxièmement, le projet de loi créerait une infraction distincte pour quiconque commet un acte criminel sur l’ordre d’une entité étrangère, en collaboration avec elle ou pour son profit. Par exemple, ce serait le cas d’une personne qui corrompt — la corruption est déjà une infraction prévue dans le Code criminel — un représentant canadien au profit d’un État étranger qu’elle soutient.

Troisièmement, le projet de loi érigerait en infraction le fait d’avoir une conduite subreptice ou trompeuse, sur l’ordre d’une entité étrangère ou en collaboration avec elle, en vue d’influencer un processus politique ou gouvernemental du Canada, ou l’exercice d’un droit démocratique au Canada. En guise d’exemple, pensons à quelqu’un qui, sur l’ordre d’une entité étrangère, crée une grande quantité de fausses cartes de membre d’un parti dans le but d’influencer le résultat d’un vote sur la direction du parti.

Enfin, comme je l’ai mentionné, le projet de loi modifierait l’infraction actuelle prévue à l’article 20 de la Loi sur la protection de l’information pour se concentrer sur l’intimidation, les menaces ou la violence exercées au nom d’un État étranger ou en collaboration avec lui. Il élimine le besoin de prouver que l’acte avait pour but de nuire aux intérêts canadiens ou d’accroître la capacité d’un État étranger à le faire. Voici un exemple d’infraction prévue à l’article 20 : une personne qui se trouve au Canada et qui travaille pour le compte d’un État étranger menace de faire du mal à des proches d’un citoyen canadien qui vivent sur le territoire de l’État étranger si ce dernier ne cesse pas de critiquer l’État étranger en question.

Le projet de loi crée également dans la Loi sur la protection de l’information une nouvelle infraction qui englobe les menaces ou la violence exercées au nom d’une entité étrangère à l’extérieur du Canada dans des circonstances limitées.

Toutes les infractions proposées seraient passibles d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité.

Le projet de loi prévoit également de faire passer de deux ans à cinq ans d’emprisonnement la peine pour l’accomplissement d’actes préparatoires, soit les actes accomplis en préparation de la perpétration des infractions les plus graves prévues dans la Loi sur la protection de l’information. Les juges chargés de déterminer la peine seront toujours liés par les principes de la proportionnalité, mais ces changements reflètent la gravité du caractère criminel lié à l’ingérence étrangère.

Je passe maintenant aux modifications apportées au Code criminel. Le projet de loi moderniserait l’infraction de sabotage existante dans le Code criminel et il ajouterait deux nouvelles infractions associées concernant les infrastructures essentielles et la fabrication, la possession ou la distribution de dispositifs conçus pour être utilisés à des fins de sabotage, comme les robots et les logiciels malveillants. Cette modernisation veillera à ce que l’infraction soit adaptée au contexte actuel de la menace et qu’elle inclut les actes commis en préparation de l’espionnage économique.

(1920)

Chers collègues, cette disposition a été amendée pendant l’étude du comité de la Chambre des communes afin d’étendre sa portée aux infrastructures essentielles qui sont à l’étape de la construction et qui ne sont pas encore opérationnelles.

Cette extension des dispositions prévue à l’article 61 est importante, car il est possible d’entraver la construction ou l’installation d’infrastructures essentielles dans l’intention de nuire au Canada. Par exemple, entraver l’installation d’un système d’approvisionnement en eau en cas d’urgence pourrait constituer un tel acte.

Le projet de loi préciserait également que les activités de revendication, de protestation ou de manifestation d’un désaccord ne constituent pas un acte de sabotage si la personne n’a pas l’intention de commettre un sabotage. Voici un extrait de l’énoncé concernant la Charte, déposé par le gouvernement :

Les infractions proposées étant passibles d’emprisonnement, elles mettent en jeu le droit à la liberté garanti à l’article 7 de la Charte et doivent donc être conformes aux principes de justice fondamentale. Comme elles pourraient avoir une incidence sur les personnes prenant part à des revendications ou à des protestations, elles peuvent également mettre en jeu la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique prévues aux alinéas 2b) et 2c) de la Charte. Les considérations qui suivent appuient la compatibilité des infractions de sabotage proposées avec la Charte.

Le champ d’application des infractions de sabotage proposées serait adapté à l’objectif législatif de protéger les intérêts canadiens importants et les infrastructures essentielles contre les préjudices graves. L’infraction de sabotage principale et l’infraction de sabotage d’infrastructures essentielles comporteraient toutes deux un élément d’intention coupable strict, qui exigerait l’intention de causer l’un des préjudices graves précisés. Les activités légitimes de revendication, de protestation ou de manifestation d’un désaccord où il n’y a aucune intention de causer les préjudices précisés ne seraient pas visées par les infractions. L’infraction complémentaire de fabrication, de possession, de vente ou de distribution d’un dispositif en vue de la commission d’une infraction de sabotage vise uniquement les dispositifs conçus expressément pour faciliter une infraction de sabotage. Ces trois infractions préservent le pouvoir discrétionnaire conféré au juge de première instance d’infliger une peine appropriée.

Chers collègues, outre les protections prévues par la Charte pour les manifestations et la liberté d’expression, le projet de loi contient une disposition de précision qui stipule que l’infraction de sabotage ne s’applique pas à une personne qui prend part à des revendications, à des protestations ou à des manifestations d’un désaccord et qui n’avait pas l’intention de causer des dommages à des infrastructures essentielles. En outre, pour qu’une accusation soit portée en vertu de cette infraction, le procureur général doit donner son accord, ce qui ajoute un niveau de responsabilité supplémentaire.

Chers collègues, je passe maintenant aux modifications proposées à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, ou Loi sur le SCRS.

Dans le projet de loi, des modifications ciblées à la Loi sur le SCRS permettraient au gouvernement d’être mieux équipé pour renforcer la résilience et contrer les menaces modernes auxquelles le Canada est confronté de nos jours.

Bien qu’elle ait déjà été modifiée, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité a été adoptée en 1984, à une époque où l’utilisation répandue et le développement de la technologie numérique étaient embryonnaires. Aujourd’hui, comme vous le savez, les technologies numériques font partie de tous les aspects du quotidien.

Les innovations technologiques rendent plus difficiles la détection et l’identification des auteurs de menaces, y compris ceux qui se livrent à des activités d’ingérence étrangère. Ces innovations ont offert aux auteurs de menaces de nouveaux outils pour s’ingérer dans la société et les institutions canadiennes, en particulier dans l’espace virtuel.

Le SCRS doit donc pouvoir fonctionner dans un monde numérique qui évolue constamment et rapidement. C’est pourquoi la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité fait l’objet de quelques modifications importantes, notamment pour donner au service le pouvoir de recueillir, depuis le Canada, des renseignements étrangers de l’extérieur du Canada. Il s’agit d’un ajout important aux pouvoirs du SCRS. De nouvelles dispositions relatives aux mandats et aux ordonnances facilitent la tenue des enquêtes par le SCRS. Un autre changement concerne l’utilisation et le partage d’ensembles de données, qui sont précisés d’une manière qui tient certainement compte du rapport de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement du 27 mars 2024. Il est important de noter que de nouveaux pouvoirs permettraient au SCRS de transmettre des renseignements sensibles à des partenaires de tous les ordres de gouvernement, du milieu universitaire et du secteur privé, ce que des gens réclament depuis longtemps.

Premièrement, les décisions des tribunaux ont clairement établi que le Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, ne peut pas recueillir des renseignements étrangers de l’intérieur du Canada lorsque l’information se trouve à l’extérieur du pays. Cette limitation géographique restreint la collecte de renseignements étrangers d’une manière qui n’aurait pas pu être prévue en 1984, étant donné que l’information est aujourd’hui largement numérique et sans frontières. Les informations électroniques qui étaient auparavant recueillies à l’appui des affaires étrangères ou de la défense nationale du Canada se trouvent aujourd’hui fréquemment en dehors de nos frontières. Les modifications visent à éclaircir le pouvoir du SCRS de recueillir de l’intérieur du Canada des renseignements étrangers qui se trouvent à l’extérieur du pays, tout en maintenant les autres limites prévues à l’origine par le Parlement.

Deuxièmement, le projet de loi prévoit plusieurs nouveaux pouvoirs pour aider le SCRS à enquêter sur l’ingérence étrangère. L’article 37 introduit les ordonnances de préservation et de communication. Bien qu’il s’agisse d’éléments nouveaux dans la Loi sur le SCRS, les ordonnances de préservation et de communication ne sont pas en elles-mêmes de nouveaux outils. Les modifications proposées s’inspirent d’ordonnances auxquelles ont couramment recours les organismes canadiens d’application de la loi et de renseignement et d’autres démocraties.

Pour une ordonnance de préservation, le SCRS peut demander qu’une ordonnance soit rendue pour préserver une information, un document ou un objet. Le seuil proposé pour l’obtention d’une ordonnance de préservation est celui des soupçons raisonnables. Le dépôt d’une telle demande ne nécessite pas l’approbation préalable du ministre, car le SCRS ne pourrait pas recueillir d’informations, de dossiers, de documents ou d’objets. Toutefois, on doit informer le ministre lorsqu’une demande d’ordonnance de préservation est présentée.

Dans l’éventualité où la Cour fédérale accorderait une ordonnance de préservation, le SCRS serait quand même tenu, selon les nouvelles dispositions, de retourner devant la Cour, après avoir obtenu l’approbation du ministre, pour démontrer qu’il a des motifs raisonnables de croire qu’une ordonnance de communication ou un mandat est nécessaire pour obtenir les renseignements, les fichiers, les documents ou tous les autres éléments préservés.

Par conséquent, il y aurait encore des critères rigoureux à respecter avant que le SCRS puisse recueillir des renseignements, et il y aurait des mesures de protection et de surveillance supplémentaires qui seraient prises par le ministre, la cour, le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement.

Par exemple, si le SCRS recevait de l’information concernant le numéro de téléphone d’une personne qui présente un risque d’ingérence étrangère, le projet de loi permettrait d’obtenir rapidement une ordonnance de préservation de la Cour fédérale afin que le registre des appels téléphoniques et les messages textes liés à cette personne qui présente un risque d’ingérence étrangère ne soient pas détruits. On pourrait ensuite demander une ordonnance de communication de la cour pour obtenir les messages ainsi que l’identité de l’abonné.

Ainsi, honorables collègues, le SCRS pourrait plus efficacement détecter des acteurs et des activités qui présentent des risques d’ingérence étrangère, faire enquête à ce sujet et, au besoin, prendre des mesures pour contrer ces menaces.

Deuxièmement, à l’article 39, le projet de loi propose un nouveau mandat à usage unique qui ressemble beaucoup à un mandat de perquisition pour les forces de l’ordre. Contrairement à un mandat normal, il s’agirait d’un outil dont le SCRS pourrait disposer sans avoir épuisé les autres méthodes d’enquête, comme le recrutement de sources ou la conduite d’entretiens. Le SCRS pourrait ainsi obtenir des renseignements importants plus tôt dans une enquête. Ces amendements permettraient de continuer à respecter les droits et libertés fondamentaux des Canadiens, avec de solides mesures d’examen, de contrôle et de transparence toujours en place et inchangées.

Pour se procurer un mandat d’obtention d’information, le SCRS serait toujours tenu de satisfaire à toutes les autres exigences fondamentales des demandes de mandat normales, y compris l’obtention de l’approbation ministérielle, et de démontrer à la Cour fédérale qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire et qu’il contribuera à l’enquête. La cour doit également être informée de toutes les demandes de mandat antérieures concernant le même objet d’enquête.

Cette exigence permettrait à la cour de savoir combien de fois ce nouveau pouvoir octroyé par mandat a été accordé précédemment à l’égard du même objet d’enquête.

Ces propositions reflètent les attentes élevées des Canadiens en matière de protection de la vie privée, y compris les protections prévues par la Charte canadienne des droits et libertés.

Troisièmement, il y a la capacité d’utiliser et de partager des ensembles de données. La loi définit un ensemble de données comme un ensemble d’informations qui est sauvegardé sous la forme d’un fichier numérique, qui porte sur un sujet commun, et qui ne pose pas de menace directe et immédiate envers la sécurité du Canada. Toutefois, le SCRS peut recueillir l’ensemble de données s’il peut démontrer que ce dernier est pertinent dans le cadre de l’exercice des fonctions qui lui sont conférées.

(1930)

Le seuil de conservation d’un ensemble de données étranger qui est considéré comme un ensemble de données canadien est plus élevé : le SCRS doit prouver qu’il est probable que la conservation de cet ensemble l’aidera dans l’exercice de ses fonctions. Les changements proposés aux régimes d’ensembles de données visent à clarifier l’application de l’ensemble de données et à permettre une plus grande souplesse dans l’évaluation et la conservation des ensembles de données, en prolongeant la période d’évaluation initiale de 90 à 100 jours, ce qui tient compte, par exemple, des exigences de déchiffrement, de traduction et d’évaluation.

Quatrièmement, les nouvelles dispositions relatives à l’autorisation de communication, qui se trouvent à l’article 34 du projet de loi, contribueront à renforcer la résilience aux menaces.

Au moment de l’adoption de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, la sécurité nationale relevait principalement du gouvernement fédéral, où l’espionnage et l’ingérence étrangère visaient la technologie militaire et les institutions du gouvernement fédéral. C’est pourquoi le SCRS est autorisé à recueillir, conserver et fournir au gouvernement fédéral les renseignements nécessaires à la prise de décisions visant à protéger la sécurité nationale du Canada.

Aujourd’hui, les menaces qui pèsent sur la sécurité du Canada, y compris l’ingérence étrangère, touchent tous les ordres de gouvernement et tous les secteurs de la société, y compris les collectivités canadiennes, les gouvernements provinciaux, les administrations municipales, les universités, les médias et les entreprises privées.

L’expertise et les informations du SCRS sont de plus en plus pertinentes pour des acteurs qui ne font pas partie du gouvernement fédéral, et ces partenaires se tournent de plus en plus vers le SCRS pour obtenir plus d’informations de nature à les aider à mieux comprendre les menaces, à les reconnaître et à faire preuve de résilience à leur égard. Il s’agit d’un changement très important du régime du SCRS.

Cette disposition a été modifiée au cours de l’étude à la Chambre des communes pour ajouter une exception afin que le SCRS puisse communiquer à une personne des renseignements personnels la concernant. Cet amendement, qui a reçu l’appui de tous les partis, permettrait au SCRS d’être plus franc et transparent avec les Canadiens en communiquant des renseignements sur les menaces et les vulnérabilités particulières qui les concernent.

Par exemple, chers collègues, sans cet amendement, le SCRS ne pourrait pas dire à un sénateur que son adresse de courriel personnelle a été découverte sur le Web caché, dans un forum dont on sait qu’il est utilisé par des acteurs étatiques hostiles. Cela a maintenant été corrigé.

Grâce à un amendement à l’étape du rapport à l’autre endroit, ces nouvelles exceptions valent également pour les personnes morales et les entités.

Pour que ce nouveau pouvoir de communication puisse être exercé, il faudrait que les informations que le SCRS cherche à communiquer soient également communiquées, le cas échéant, au ministère ou à l’organisme fédéral qui exerce des fonctions pour lesquelles elles sont pertinentes. Les informations communiquées au titre de cette disposition ne peuvent pas contenir de renseignements personnels d’un citoyen canadien, d’un résident permanent ou d’une personne au Canada ni contenir le nom d’une entité canadienne ou d’une personne morale constituée sous le régime d’une loi fédérale ou provinciale.

Le SCRS peut toutefois divulguer des renseignements qu’il détient sur des États étrangers ou des entités non canadiennes qui représentent une menace pour la sécurité nationale du Canada.

Dans les cas où la divulgation de renseignements personnels ou la mention du nom d’une entité canadienne serait essentielle dans l’intérêt public, le ministre déciderait si la divulgation l’emporte sur l’intrusion potentielle dans la vie privée.

Enfin, le gouvernement a prévu un examen parlementaire quinquennal de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. À l’heure actuelle, le Parlement n’est pas tenu par la loi de réexaminer régulièrement la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. L’article 44 prévoit un mécanisme d’examen parlementaire de cette loi tous les cinq ans afin de s’assurer qu’elle est adaptée aux nouvelles technologies et à l’évolution des menaces pesant sur la sécurité nationale, de même qu’afin d’exercer une surveillance supplémentaire des pouvoirs du service.

En conclusion, chers collègues, les Canadiens expriment très clairement ce dont ils ont besoin pour se sentir en sécurité et mieux protégés contre les menaces d’ingérence étrangère. Ils disent que notre pays a besoin d’un registre sur l’ingérence étrangère. Ils disent qu’ils ont besoin de renseignements qui les aideront à comprendre cette menace et à y faire face. En particulier, les scientifiques, les universités, les entreprises, les municipalités et les autres entités qui traitent fréquemment avec des commettants étrangers ont besoin de lignes directrices sur la manière de procéder en toute transparence. Surtout, les Canadiens nous disent qu’il faut agir rapidement pour que cette mesure soit mise en place avant les prochaines élections.

Au cours de l’étude préalable effectuée par le Sénat, l’ancien directeur du SCRS Richard Fadden a déclaré :

Retarder le projet de loi C-70 au point où il ne sera pas en vigueur avant les prochaines élections équivaudrait à faire un cadeau à nos adversaires.

Katherine Leung, conseillère en politique, au sein de l’organisme Hong Kong Watch, a déclaré ceci :

Ce projet de loi donnerait au Canada un cadre beaucoup plus solide pour lutter contre l’ingérence étrangère que ce qui existe actuellement. Ce nouveau cadre doit être en place avant les prochaines élections.

Honorables sénateurs, l’ingérence étrangère sape la confiance du public envers les gouvernements, les fonctionnaires, ainsi que les institutions et les processus démocratiques. Les Canadiens ont besoin des outils nécessaires pour être en mesure de se rendre compte que des puissances étrangères tentent de les influencer, de les intimider ou d’intimider leur famille, chez eux. Il faut leur fournir ces outils.

Chers collègues, je recommande au Sénat de traiter rapidement le projet de loi proposé, mais, comme toujours, je m’en remets à votre grande expérience. Merci.

Son Honneur la Présidente : Sénateur Dean, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Dean : Oui.

L’honorable Salma Ataullahjan : Sénateur Dean, je vous remercie de votre discours sur le projet de loi C-70. J’ai entendu des intervenants qui craignent que nous soyons trop pressés d’apporter des changements à nos mesures législatives sur la sécurité nationale, ce qui pourrait avoir une incidence sur les libertés civiles des Canadiens. Je suis préoccupée par l’utilisation du terme « intimidation », à l’article 53. Il n’y a aucune définition claire, et pourtant, quiconque violerait cette disposition pourrait recevoir une peine d’emprisonnement à perpétuité. Pourriez-vous envisager de retirer le terme « intimidation » de l’article 53 ou encore de modifier cet article de manière à y inclure une définition précise du mot « intimidation »?

Le sénateur Dean : Je n’ai pas, pour le moment, d’opinion claire à ce sujet. Je ne sais pas quelle est celle du gouvernement, mais je sais que ce point soulève des préoccupations. Je suis persuadé, madame la sénatrice, que les mécanismes de contrôle prévus dans le projet de loi et la surveillance qui sera associée à ces nouvelles dispositions permettront de trouver un juste équilibre, de manière à protéger les Canadiens contre l’ingérence étrangère tout en évitant qu’ils ne subissent des répercussions négatives imprévues.

La sénatrice Ataullahjan : Sénateur Dean, accepteriez-vous de répondre à une question? J’ai également des inquiétudes à propos de l’élargissement des dispositions d’inadmissibilité de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La nouvelle disposition laisse entendre que le ministre aura la capacité d’intervenir en fonction des relations internationales. Est-ce à dire que les relations internationales du Canada auraient préséance sur les défenseurs des droits de la personne? À titre d’exemple, est-ce que des militants rohingyas ou ouïghours seraient exclus des dispositions prévues par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

Le sénateur Dean : Non, je ne crois pas que ce serait le cas, sénatrice Ataullahjan.

L’honorable David Richards : Nous avons parlé l’autre jour de l’assurance-médicaments. L’enjeu qui me préoccupait alors, c’est que les deux tiers des Canadiens n’ont pas de médecin, ce qui nuit à tout ce processus. J’ai des préoccupations semblables à propos du projet de loi à l’étude. Le problème qui pourrait se poser, c’est que nous n’ayons pas de ressources suffisantes — dans la GRC, le SCRS ou tout autre organisme canadien — pour assurer une mise en œuvre efficace des procédures prévues. Y a-t-il eu des discussions à ce sujet? Je sais qu’il y a eu des discussions, car j’y étais. Quelle est votre opinion sur ce point?

Le sénateur Dean : Sénateur Richards, les ressources jouent toujours un rôle essentiel dans la réussite des interventions et des modifications législatives. Nous en sommes conscients, et c’est un point qui est soulevé périodiquement.

(1940)

Je crois que l’on a posé cette question exacte aux représentants de la GRC au Comité de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants, et, selon mon souvenir, ils ont dit aux membres du comité qu’ils se sentaient suffisamment bien outillés pour assurer le maintien de l’ordre et l’application des dispositions de ce projet de loi. Je ne doute pas que, si des ressources supplémentaires sont nécessaires, compte tenu de la priorité que le gouvernement accorde à ce projet de loi, ces ressources seront mobilisées afin de garantir le succès des dispositions très importantes de ce projet de loi.

L’honorable Mary Coyle : Merci beaucoup, sénateur Dean, d’avoir parrainé ce projet de loi très important et d’avoir organisé la séance d’information très complète à laquelle nous avons assisté juste avant de venir dans cette enceinte.

Si j’ai bien compris, il s’agit d’une modernisation de notre boîte à outils. C’est ainsi que la mesure a été décrite. J’ai entendu dire qu’il était compliqué de comprendre toutes les parties de ce projet.

Ma question ne porte pas tant sur le contenu du projet de loi, mais plutôt sur votre dernier point, à savoir que les Canadiens nous demandent d’adopter ce projet de loi rapidement. Supposons que nous l’adoptions, que doit-il se passer entre le moment de son adoption et celui de la mise en œuvre des différentes dispositions qui rend la chose si pressante cette semaine?

Nous voulons qu’il soit mis en place avant les prochaines élections. Avec un peu de chance, ce ne sera pas avant l’automne 2025. Que doit-il donc se passer d’ici là, et cela prendra-t-il vraiment tout ce temps? Il serait important que nous le sachions.

Le sénateur Dean : D’abord, à la lumière de mes connaissances des processus gouvernementaux, je peux dire que j’ai vu des projets de loi beaucoup moins complexes et d’une portée beaucoup moins grande pour lesquels il a fallu plus de temps que celui dont on dispose pour ce projet de loi-ci.

Je le dirai simplement : le gouvernement aimerait que ces mesures soient en place avant les prochaines élections, et les Canadiens aussi. Les fonctionnaires de divers ministères devront travailler très fort pour élaborer les mécanismes et établir l’architecture. Il faudra nommer du personnel et le commissaire comme le prévoit la Loi sur la lutte contre l’ingérence étrangère. Ce processus de recrutement devra être lancé. Je présume que ce sera une priorité pour le gouvernement.

De plus, le gouvernement doit aussi élaborer les règlements. Je suis certain qu’il y aura des consultations sur le sujet. Je doute que, si le projet de loi est adopté, tout soit déjà ficelé et que nous n’en entendions plus parler jusqu’à ce que le tout soit annoncé d’un seul coup.

Je pense que nous avons ici, dans certains cas, de nouvelles dispositions et, dans de nombreux cas, des dispositions existantes sur lesquelles nous nous appuyons. Tout n’est pas entièrement nouveau. Il y a quelques nouveaux pouvoirs dans ce projet de loi. Ils sont importants, mais ils reposent sur les fondements de notre système juridique actuel et sur les fondements du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, qui, je le suppose, voudra également apporter sa contribution.

Il s’agira d’un travail qui mobilisera beaucoup de monde. Je pense que les consultations se poursuivront au fur et à mesure de l’élaboration des règlements. Je suppose que les sénateurs voudront également avoir un œil sur ce processus, voir comment il se développe et peut-être être informés des progrès accomplis par le gouvernement dans la mise en place des différents éléments de cette architecture.

C’est un travail considérable, certes, mais c’est ce que font les gouvernements. Je suis persuadé que les mécanismes dont il est question ici, dont beaucoup existent déjà, peuvent être mis en place avant les prochaines élections, mais il faudrait pour cela que nous agissions avec empressement.

Son Honneur la Présidente : Il ne reste au sénateur que 30 secondes. Si votre question est brève, sénateur Quinn, vous pouvez la poser.

L’honorable Jim Quinn : Le sénateur accepterait-il de répondre à une brève question? Pour faire suite à la question de la sénatrice Coyle, je crois comprendre que le projet a été présenté à l’autre endroit le 4 juin. Il y a un processus à suivre là-bas. Combien de jours le comité a-t-il passés à l’examiner?

Le sénateur Dean : Vous parlez du comité sénatorial?

Le sénateur Quinn : La séance d’information m’a donné l’impression que c’était compliqué. Dans quelle mesure le comité de la Chambre a-t-il mené un examen approfondi?

Son Honneur la Présidente : Sénateur Dean, vous devrez demander plus de temps pour répondre à la question. Demandez‑vous plus de temps?

Le sénateur Dean : Oui, Votre Honneur.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Dean : Je n’ai pas les informations de la Chambre des communes sous les yeux. Je peux vous dire que le Comité de la sécurité et de la défense a entendu 36 témoins qui représentaient 26 organisations dans le cadre de plusieurs audiences et qu’en général, de nombreux témoins étaient favorables à l’adoption rapide du projet de loi.

L’honorable Yuen Pau Woo : Il y a à peine 2 heures, 20 de nos collègues se trouvaient au 1, rue Wellington pour assister à une séance d’information technique sur le projet de loi C-70. C’est moins du quart de notre effectif de sénateurs. Je suis maintenant devant vous, pressé de prononcer un discours après avoir participé à cette séance d’information à court préavis, sans préparation adéquate. Néanmoins, j’aimerais faire quelques observations officielles.

La première chose, qui devrait être évidente étant donné mon préambule, c’est que nous précipitons l’adoption de ce projet de loi. Il ne fait aucun doute que cette hâte n’est pas digne de la Chambre haute. Je pense qu’il est juste de dire que lors de la séance d’information technique, de nombreuses questions n’ont pas été posées par manque de temps, et que de nombreuses réponses données étaient, de l’avis de certains d’entre nous, insatisfaisantes.

Chers collègues, habituellement, l’objectif de la deuxième lecture est de discuter du principe du projet de loi. Permettez-moi de dire, tout d’abord, que je soutiens le principe du projet de loi, mais on discute du principe en vue de renvoyer le projet de loi à un comité où on pourra en étudier attentivement les détails et où on pourra en examiner minutieusement les défauts et, éventuellement, les corriger. Au lieu de cela, comme vous le savez tous, nous avons une étude préalable, qui a eu lieu la semaine dernière, également de manière précipitée, et lorsque le Comité de la sécurité nationale et de la défense se réunira demain, à 8 heures, soit dit en passant, pour ceux d’entre vous qui sont intéressés, il passera directement à l’examen article par article. En gros, nous sautons de la deuxième lecture à l’examen article par article, puis, vraisemblablement, à un vote en troisième lecture d’ici jeudi.

Chers collègues, nous prenons moins de temps pour examiner cet important projet de loi que nous n’en avons pris pour les projets de loi antiterroristes des trois dernières décennies, en 2001, en 2012, en 2015, en 2019, qui ont tous été adoptés assez rapidement dans le feu de l’action et qui comportaient des lacunes. Certains d’entre eux ont dû être corrigés quelques années plus tard.

Vous vous souvenez peut-être, par exemple, des amendements de 2019 à l’ancien projet de loi C-51, le projet de loi antiterroriste.

(1950)

Il est probable que le projet de loi C-70 soit adopté à l’étape de la troisième lecture et devienne loi avant la pause estivale, malgré ses lacunes. Dans les prochaines années, nous aurons peut-être la possibilité de corriger certaines de ces lacunes, mais, d’ici là, ceux qui en paieront le prix, ce sont les personnes et les organisations qui seront prises au piège par l’ensemble de mesures trop vaste et trop rigoureux qui est proposé dans le projet de loi C-70.

Avant de donner seulement un aperçu des lacunes que je vois dans ce projet de loi, je me permets de parler de mon expérience dans ce domaine. Pratiquement depuis mon arrivée au Sénat, à la fin de 2016, je travaille à lutter contre l’ingérence étrangère au Canada et sur la Colline du Parlement.

En 2018, soit bien avant toute cette histoire, bien avant les fuites dans les médias, et bien avant les discussions fébriles entourant l’ingérence étrangère à grande échelle, j’ai organisé, dans l’édifice du Centre, un atelier destiné aux parlementaires qui portait sur l’ingérence étrangère chinoise au Canada. J’ai fait cela parce que, même à l’époque, je savais que c’était une question très délicate, et on commençait déjà à l’instrumentaliser, surtout aux États-Unis, où bon nombre d’activités de lutte contre l’ingérence étrangère visaient la Chine et les Chinois aux États-Unis, et que cela avait pour effet de stigmatiser des gens et de les traiter de façon discriminatoire, sous prétexte qu’il était urgent d’agir dans l’intérêt de la sécurité nationale.

J’espérais à l’époque que nous pourrions avoir une discussion adulte sur l’ingérence étrangère afin d’éviter les excès dans lesquels je pense que nous commençons à verser. J’ai échoué parce qu’aujourd’hui, nous nous trouvons dans un environnement fébrile où il semblerait qu’il y ait un soutien écrasant, voire unanime, pour un projet de loi sur la lutte contre l’ingérence étrangère qui présente des défauts manifestes qui nous ont été signalés par diverses sources de la société civile, du monde universitaire et des Canadiens ordinaires.

Comme certains d’entre vous le savent, j’ai également participé à l’Enquête publique sur l’ingérence étrangère. Je suis un intervenant officiel et j’ai eu l’occasion de prendre connaissance de l’information qui a été mise à notre disposition. J’ai également participé à la consultation publique qui a conduit au projet de loi C-70 sur l’élaboration d’un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère, que nous avons maintenant dans ce projet de loi. J’ai présenté des mémoires officiels à l’Enquête publique sur l’ingérence étrangère pour exprimer mon inquiétude quant à la qualité des renseignements et au fait que les conséquences du fanatisme à l’égard de l’ingérence étrangère n’ont pas été prises en compte, bien qu’elle porte atteinte à la liberté d’expression des communautés de la diaspora, y compris pendant les élections.

Permettez-moi à présent d’aborder un certain nombre de défauts que je vois dans le projet de loi et que, je l’espère, d’autres relèveront et que nous pourrons envisager d’améliorer. Il ne s’agit que de quelques exemples.

La première porte sur la Loi sur la protection de l’information, où il y a une nouvelle infraction liée à l’ingérence dans les affaires politiques. Je conviens qu’il est nécessaire de mettre fin à l’ingérence de commettants étrangers dans les affaires politiques, mais il y a une disposition spéciale où il y a une infraction liée à la préparation de l’acte d’ingérence dans les affaires politiques. Elle prévoit que quiconque accomplit un acte en vue ou en préparation de la perpétration d’une infraction — l’infraction étant l’ingérence dans les affaires politiques — commet cette infraction.

Dans cette disposition, nous copions l’exemple australien, où il y a aussi une disposition contre la préparation et la planification d’un acte d’ingérence étrangère, et les Australiens ont eu leur première déclaration de culpabilité l’année dernière. Permettez-moi de vous raconter ce qu’il s’est passé.

Un Australien d’origine vietnamienne a été condamné à deux ans de prison pour avoir préparé ou planifié un acte d’ingérence étrangère. Quel était cet acte? Il a organisé une collecte de fonds pendant la COVID et il a recueilli de l’argent auprès des Vietnamiens et de la communauté indo-sino-australienne pour acheter de l’équipement de protection individuelle et d’autres fournitures médicales, et il a donné cet argent à un hôpital. À l’occasion de la cérémonie où le don a été fait, il a invité un responsable politique — je pense qu’il était ministre en fonction à l’époque — à venir tenir avec lui sur la scène un chèque géant de 25 000 dollars australiens. On s’est servi de cela comme preuve que cet Australien d’origine vietnamienne préparait le ministre en vue d’un acte futur d’ingérence étrangère.

Pensez-y. Le régime australien appartient à l’Australie et celle-ci a le droit d’agir comme elle le veut, mais si nous empruntons cette direction, le fait, pour une personne, de forger une relation avec un politicien ou un fonctionnaire susceptible de gravir les échelons dans un avenir plus ou moins rapproché constituerait en soi un crime, puisque ce serait considéré comme un acte en vue ou en préparation de la perpétration d’ingérence étrangère. Voilà qui me donne des frissons dans le dos.

Passons maintenant à la partie 4 du projet de loi, qui édicterait la loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère. D’abord, permettez-moi de préciser ce qui me plaît dans ce projet de loi. Je me suis exprimé à l’étape des consultations et j’ai activement participé au débat public. Il y a beaucoup d’éléments qui me plaisent dans le projet de loi. D’ailleurs, des suggestions venant de moi et de nombreuses autres personnes y ont été intégrées.

Premièrement, j’aime que le projet de loi ne vise aucun pays en particulier. Aucune publication officielle n’est nécessaire.

Deuxièmement, il n’essaie pas d’utiliser le registre pour résoudre le problème très réel de la répression transnationale. Dans les projets de loi d’initiative parlementaire portant sur un registre des agents d’influence étrangers que nous avons vus précédemment à la Chambre des communes et au Sénat, on propose l’idée qu’un registre peut en quelque sorte mettre un terme aux actes d’ingérence étrangère malveillants, en particulier les actes les plus ignobles, à savoir la répression des Canadiens par des gouvernements étrangers au moyen de menaces et de mesures d’intimidation.

Le projet de loi n’essaie pas de faire cela. Il crée plutôt une nouvelle catégorie distincte d’infractions criminelles liées à la répression et à l’intimidation proprement dites. Le mot « intimidation » me préoccupe, mais je pense que c’est le bon moyen de traiter les actes criminels plutôt que d’utiliser le registre comme moyen de rechange.

J’aime également le fait que le registre ne se sert pas du concept d’entité apparentée, qui est un terme tellement large et vague qu’il peut englober à peu près toute personne associée à une organisation qui est liée d’une manière ou d’une autre à une puissance étrangère. Il utilise plutôt le terme « arrangements ». J’ai recommandé l’idée d’utiliser le mot « arrangements », mais j’aurais préféré que l’on se concentre sur les arrangements concrets parce qu’ils sont tangibles — un contrat, une contrepartie, un voyage à Taïwan, par exemple, en Israël, en Chine ou au Mexique. C’est un arrangement concret. Le libellé indique plutôt « des arrangements » ou « en collaboration avec ». J’ai de très sérieuses inquiétudes à ce sujet. Que signifie « en collaboration avec »? Le meilleur indice se trouve dans le document de consultation qui a été publié par le ministère de la Sécurité publique en préparation du projet de loi et qui contient une étude de cas de ce qu’on veut dire, selon moi. Voici l’étude de cas en question.

(2000)

Imaginons qu’un universitaire rencontre un commettant étranger. Il peut s’agir d’un diplomate; c’est quelqu’un qui représente un autre gouvernement. Ces deux personnes ont une ou plusieurs conversations. Peu après, l’universitaire rédige un article d’opinion en faveur de la position du pays étranger sur une question donnée. Il se peut que l’universitaire donne également des conférences sur le campus en faveur de la position de ce gouvernement. Cet exemple est décrit dans le document de consultation comme un acte d’ingérence étrangère malveillante, et je suis d’avis que l’intention du projet de loi et l’utilisation du terme « en collaboration avec » viseraient les actes de cet universitaire.

Toutefois, chers collègues, si un universitaire rencontre un représentant étranger et qu’il exprime un point de vue qui est étroitement aligné avec le gouvernement étranger, comment savons‑nous que le représentant étranger...

Votre Honneur, puis-je avoir cinq minutes de plus?

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Woo : Merci, chers collègues.

Comment savoir si l’universitaire ne partageait pas déjà cette opinion?

Permettez-moi de vous démontrer pourquoi c’est si problématique. Nous aurons très bientôt à déterminer si nous devrions imposer des droits de douane aux véhicules électriques chinois. Certains d’entre vous savent que les États-Unis ont imposé des droits de douane de 100 % aux véhicules électriques chinois. Les Européens leur ont aussi imposé des droits de douane, mais moins élevés. Il y a déjà un débat en cours au pays afin de déterminer si nous devrions emboîter le pas. Je sais que les fabricants automobiles et d’autres groupes de pression discutent avec des parties prenantes aux États-Unis, y compris certains États, afin de promouvoir l’idée que nous devrions imposer des droits de douane semblables pour une bonne raison : protéger notre industrie.

En même temps, d’autres voix s’élèvent au pays pour dire que nous ne devrions pas imposer de droits de douane de 100 % sur les véhicules électriques chinois parce que cela va à l’encontre de nos intérêts dans la lutte contre les changements climatiques. Je ne vais pas aller jusqu’à dire qui a raison ou qui a tort, mais pensez-vous qu’une personne qui plaide en faveur de droits de douane de 100 % sous l’influence d’une entité associée à un État américain sera traitée de la même manière qu’une personne qui plaide contre des droits de douane de 100 % et qui pourrait avoir des liens avec une entité chinoise ou asiatique? J’en doute. Je ne sais pas. Voilà le genre de questions que nous devrions poser.

Chers collègues, il y a encore beaucoup de choses à dire, mais ce projet de loi comporte des lacunes majeures. L’une d’elles, c’est qu’il ne tient pas compte des acteurs non étatiques. Comme vous avez peut-être remarqué, le projet de loi érige en infraction l’ingérence dans la gouvernance des institutions d’enseignement. Toutefois, la majeure partie de l’ingérence étrangère qui vise nos institutions d’enseignement ne provient pas des États, mais plutôt de groupes religieux et de militants qui s’intéressent à l’égalité des genres, aux droits génésiques, aux armes à feu et ainsi de suite. On peut en penser ce qu’on en veut, mais ces groupes sont les entités qui seront les plus actives pour essayer d’influer sur la gouvernance de nos établissements d’enseignement, et ce projet de loi n’en tient pas compte.

Il reste tellement d’autres aspects à examiner, mais permettez‑moi de dire que l’ingérence étrangère est un problème grave. Nous ne devrions pas tolérer l’ingérence étrangère. Je comprends la nature délicate de ce débat. Je sais aussi que personne ne veut être associé au mauvais camp, mais un mauvais projet de loi ne nous aidera pas à combattre l’ingérence étrangère. Nous devons absolument éviter que la portée de ce projet de loi soit si large qu’il mette à risque les droits fondamentaux, notamment en menant à la stigmatisation des personnes et des groupes qui sont considérés comme étant dans le mauvais camp.

Nous n’avons pas soumis ce projet de loi à l’examen minutieux nécessaire. Je crains que nous regrettions d’agir à la hâte. J’en aurai plus long à dire à l’étape de la troisième lecture du projet de loi. Je vous remercie de votre attention.

Des voix : Bravo!

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, par où commencer? Le projet de loi dont nous sommes saisis se fait attendre — pour des motifs inutiles, déraisonnables et cyniques — depuis longtemps.

Même si j’appuie ce projet de loi et son adoption rapide, beaucoup d’entre vous n’aimeront pas ce que j’ai à dire sur le bilan du gouvernement et du Sénat en matière de lutte contre l’ingérence étrangère.

Je ne doute pas qu’on m’accusera de partisanerie dans mes observations, mais il n’y a pas de plus grande partisanerie que celle dont fait preuve le gouvernement Trudeau — et beaucoup d’entre vous — en ce qui concerne les efforts des conservateurs pour lutter contre l’ingérence étrangère et la répression transnationale, en particulier par la création d’un registre des agents étrangers.

Commençons par là, chers collègues. Commençons par le projet de loi S-237.

J’ai déposé ce projet de loi en février 2022. Cela fait plus de deux ans, et il a été relégué aux oubliettes. À une exception près, aucun d’entre vous n’a trouvé l’ingérence étrangère suffisamment intéressante ou pressante pour prononcer un mot relativement à ce projet de loi. Votre opinion est-elle favorable, positive ou neutre? Devrait-on l’amender? Faut-il le défendre et le faire adopter?

Je n’ai rien entendu de la part du sénateur Woo, qui, plus tôt, a fait part de sa grande inquiétude au sujet de l’ingérence étrangère. Il n’est pas intervenu pour parler du projet de loi S-237. Serait-ce parce que beaucoup d’entre vous ont reçu des appels du Cabinet du premier ministre ou d’un ministre leur disant de ne pas le faire? Probablement pas, mais je suis sûr d’une chose : aucun d’entre vous n’a reçu d’appel du gouvernement ou du leader du gouvernement vous demandant de faire avancer le projet de loi parce qu’il était d’une telle importance pour la sécurité nationale et que l’ingérence étrangère ne serait pas tolérée.

Il y a deux possibilités pour expliquer l’absence d’intérêt envers le projet de loi. Peut-être que le gouvernement a simplement pensé qu’il n’y avait pas de problème avec l’ingérence étrangère et continué comme si de rien n’était. Ou alors, pour des raisons partisanes, il n’a pas voulu débattre d’une question sérieuse soulevée par l’opposition officielle. Quoi qu’il en soit, chers collègues, votre silence et celui du gouvernement sur ce projet de loi en disent long.

Le seul collègue qui a véritablement fait preuve d’indépendance sur la question, qui a exprimé des inquiétudes sincères au sujet de l’ingérence étrangère et de la répression transnationale et qui a choisi de prendre la parole selon ses principes, c’est l’honorable David Adams Richards. Je l’en remercie.

Cela dit, je m’en voudrais de ne pas aussi souligner que ce projet de loi était le successeur d’un projet de loi d’initiative parlementaire présenté par l’ancien député conservateur Kenny Chiu au cours de la législature précédente. En fait, c’est à lui qu’il faut attribuer tout le mérite, même si le gouvernement refuse de le reconnaître en ce moment. M. Chiu est devenu une victime de l’ingérence étrangère qu’il tentait de dénoncer et de combattre.

Lors des élections qui ont suivi la présentation de son projet de loi, M. Chiu a été la cible d’une vigoureuse campagne de désinformation, dirigée par le régime communiste de Pékin et propagée par des individus agissant en son nom en sol canadien. La campagne a été principalement menée au moyen d’applications de médias sociaux contrôlées par Pékin et de médias de langue chinoise infiltrés par Pékin, ici même, notamment en Colombie‑Britannique.

La désinformation a été utilisée pour susciter la peur chez les Canadiens d’origine chinoise en invoquant un chapitre très sombre de l’histoire canadienne, une désinformation à laquelle l’opposant libéral de M. Chiu, l’actuel député Parm Bains, a contribué avec plaisir.

Dans les derniers jours de la campagne électorale de 2021, M. Bains, un ancien employé politique libéral, a été cité par un média qu’on soupçonne avoir des liens étroits avec le régime communiste chinois. Il aurait dit qu’il croyait que le projet de loi de M. Chiu était discriminatoire. Le même jour, le magazine a exprimé publiquement son appui à M. Bains, exhortant les lecteurs dans cette circonscription où une bonne partie des habitants sont d’origine chinoise à voter pour lui et pour le premier ministre Justin Trudeau.

(2010)

L’histoire ne s’est pas arrêtée là, selon le journaliste d’enquête Sam Cooper, qui a écrit ceci dans « The Bureau » :

L’un des dirigeants de la communauté chinoise qui a fait campagne pour M. Bains avec l’association CCGV a tellement de pouvoir dans la diaspora de Vancouver qu’il a ensuite été reconnu personnellement lors d’une réunion avec le président Xi Jinping et des cadres du département du Travail du Front uni de Pékin, après l’ouverture par la GRC d’une enquête sur l’implication présumée de son groupe dans les postes de police chinois au Canada.

L’article de M. Cooper rapporte également que M. Bains a été vu dans une vidéo où il faisait écho aux allégations de racisme et de sinophobie formulées par Pékin à l’encontre de M. Chiu et d’Erin O’Toole, l’ancien chef conservateur.

Est-ce que cela vous semble familier, chers collègues? C’est normal, car il s’agit des mêmes accusations bidon que Pékin porte constamment contre moi dans des entrevues, des événements publics et privés et ici même, dans cette enceinte. Il n’y a rien de nouveau. Par ailleurs, les arguments de Pékin ont été répétés au Sénat, lorsque nous avons été réprimandés et que l’on nous a dit que le Canada était mal placé pour parler du génocide perpétré contre les Ouïghours à cause de notre histoire avec les pensionnats autochtones. Si vous remarquez une tendance, c’est qu’il y en a une.

Il y a tant de défenseurs des droits de la personne au Sénat et tant de personnes qui s’inquiètent de la montée de l’islamophobie, mais qui, collectivement, ne se préoccupent pas suffisamment de l’éradication des musulmans par Pékin pour la condamner en tant que génocide. Combien d’entre vous ont rencontré des Ouïghours ici au Canada ces dernières années, chers collègues? Combien d’entre vous ont écouté leurs récits déchirants concernant l’arrestation de leurs proches et leur placement forcé dans des camps de détention dans la région du Xinjiang? Combien d’entre vous ont entendu leurs récits au sujet des appels téléphoniques qu’ils reçoivent ici au Canada de la part des autorités de la République populaire de Chine ou de gens au Canada qui agissent au nom de la république, qui leur disent que leur mère est morte, que leurs frères sont tous morts, qui les menacent et leur disent de cesser de parler du génocide, faute de quoi d’autres membres de leur famille mourront? Nous avons entendu des témoignages ici même, dans un comité sénatorial.

C’est le genre de répression, de menaces et d’intimidation transnationales qui se produisent ici même, en sol canadien, et que mon projet de loi et celui de M. Chiu visent à combattre. Cette mesure législative n’était pas raciste. La motivation qui la sous-tend n’était pas raciste. Au contraire, ce sont les Canadiens d’origine chinoise eux-mêmes qui nous supplient de les aider depuis des années.

C’est ce que j’entends aussi dans le cadre de mon travail avec Hong Kong Watch. C’est la raison pour laquelle je me suis engagé auprès de cet organisme et que je suis son travail. J’ai rencontré des Hongkongais au Canada qui ont peur de montrer leur visage ou d’utiliser leur nom au complet par crainte de répercussions de la part de Pékin, particulièrement depuis que le régime communiste a mis en œuvre sa loi draconienne sur la sécurité nationale à Hong Kong.

Les voyous communistes de Pékin sont loin d’être les seuls à se livrer à ces activités en sol canadien. J’ai aussi rencontré des Canadiens d’origine iranienne qui m’ont raconté qu’ils se sentent menacés, ici au Canada, par des représentants du régime iranien malveillant, notamment par des membres du Corps des gardiens de la révolution islamique. Il y a aussi des Canadiens d’origine cubaine qui craignent pour la sécurité de leurs proches à Cuba chaque fois qu’ils prennent la parole, ici au Canada, pour défendre la liberté. Nous voyons également des tentatives de perturbation provenant de Poutine, notamment sous forme de comptes de médias sociaux et de financement de manifestations comme celles qui ont lieu actuellement sur les campus universitaires d’un océan à l’autre.

En parlant de Poutine et de Cuba, comment les Canadiens d’origine cubaine doivent-ils se sentir quand le Canada envoie un de ses navires de guerre mouiller à côté d’un navire de guerre russe, pour souligner nos relations bilatérales de longue date avec le régime communiste cubain? C’est la dernière bêtise en date de ce gouvernement qui prétend lutter contre l’autoritarisme et prendre au sérieux la menace de l’ingérence étrangère. Au cours de la fin de semaine, nous avons appris qu’un navire de guerre canadien avait été envoyé pour jeter l’ancre à Cuba aux côtés d’un navire de guerre russe, en signe d’amitié avec le régime communiste de Cuba. Merveilleux.

Le pire, c’est que quand notre ministre des Affaires étrangères a été interrogée à ce sujet lors d’une entrevue télévisée en fin de semaine, elle a répondu qu’elle n’était pas au courant. N’est-ce pas là quelque chose que notre ministre des Affaires étrangères devrait savoir, surtout s’il s’agissait d’une activité bien planifiée, comme l’a affirmé le ministre Blair depuis? Il s’agit de la même ministre qui disait ignorer que son personnel avait participé à une réception à l’ambassade de Russie peu après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Il s’agit du même ministère — Affaires mondiales Canada — dont nous savons maintenant, grâce à un article du Globe and Mail dont les faits ont été confirmés par le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, qu’il avait été averti à de nombreuses reprises de l’action suspecte d’un diplomate chinois ici au Canada. Il a fallu que le Globe and Mail nous l’apprenne.

Ils ont affirmé que le SCRS ne comprenait pas bien ce qui constitue des activités diplomatiques normales. Or, je dirais que ces fonctionnaires et le gouvernement Trudeau ne comprennent pas bien en quoi consiste l’ingérence étrangère. Vous n’avez pas à me croire sur parole; l’absence de critères d’intervention communs est un problème qui est souligné dans le rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement.

Nous en avons parlé au Comité sénatorial de la défense. Alors que les autres pays et partenaires du Groupe des cinq ont mis en place des lois et donné à leurs services de sécurité nationale le pouvoir de prendre des mesures, au Canada, nous sommes encore en train de débattre de la définition de l’ingérence étrangère. Voilà où nous en sommes en 2024.

On parle du même diplomate qui a finalement été expulsé du Canada, mais seulement après qu’une personne au SCRS l’ait dénoncé. C’est à ce moment-là qu’Affaires mondiales Canada est intervenu. Malgré cela, la fin de semaine dernière, à la télévision, la ministre Joly a eu le culot de dire à Vassy Kapelos que le Canada est le pays du G7 le plus « proactif » en matière de lutte contre l’ingérence étrangère. Honorables collègues, je suis tombé en bas de ma chaise en l’entendant dire « proactif ».

Le Canada est devenu la risée des alliés du Groupe des cinq sur le plan de la lutte contre l’ingérence étrangère. Ils nous devancent non seulement dans la mise en œuvre des mesures incluses dans ce projet de loi concernant le partage des renseignements, mais aussi dans l’établissement de registres d’agents étrangers. Nous sommes les derniers à nous y mettre, et Mme Joly pense que nous sommes les plus proactifs parce que nous menons actuellement une enquête publique sur l’ingérence étrangère, à laquelle le gouvernement a été contraint de participer. Nous avons la commission Hogue, malgré tous les efforts de Justin Trudeau pour éviter de demander la tenue d’une enquête, et cette ministre veut la présenter comme une mesure du succès du gouvernement. Encore une fois, le gouvernement et les libéraux disent toutes les bonnes choses, puis font tout le contraire, et ils rejettent ensuite le blâme sur tout le monde, sauf sur eux.

Le gouvernement Trudeau a, au mieux, accumulé les fiascos retentissants chaque fois qu’il a été confronté à la menace de l’ingérence étrangère, en particulier dans nos élections, et dans certains cas, il a volontairement fermé les yeux parce que l’ingérence étrangère lui était politiquement bénéfique.

Non seulement Mélanie Joly et Affaires mondiales n’ont pas tenu compte des avertissements du SCRS, mais aussi le premier ministre, le Cabinet du premier ministre, de hauts responsables du Parti libéral et l’équipe de la campagne libérale. Ils ont tous fermé les yeux, ils n’ont rien fait pour empêcher l’ingérence dans nos institutions démocratiques, et quand la vérité a commencé à se faire jour, ils ont menti en prétendant ne rien savoir. Au lieu d’intervenir, ils se sont attachés à trouver qui avait divulgué les renseignements. Parce que nous voulons trouver la source des fuites — le vrai problème, ce sont les gens qui disent la vérité.

Quand des rapports ont commencé à faire surface indiquant que le SCRS avait informé Justin Trudeau de l’ingérence de Pékin dans les deux élections fédérales précédentes, celui-ci s’est rabattu sur une de ses expressions favorites. Il a affirmé que le récit du Globe and Mail était faux. Il a assuré à maintes reprises, y compris à la Chambre des communes, qu’il ne savait rien et même qu’il n’avait pas été informé par le SCRS. Il découvrait lui aussi les faits. Il a nié à maintes reprises qu’il était au courant.

En mars 2023, quand on lui a demandé de but en blanc dans une entrevue à la télévision :

Saviez-vous qu’il y avait eu de l’ingérence dans ces élections, pas avant, mais au cours de cette campagne? Avez-vous été informé qu’il y avait eu de l’ingérence?

La réponse du premier ministre à cette question très simple a été : « Nous avons mis sur pied un groupe d’experts pour que cette question puisse être examinée. »

Il a formé un groupe d’experts pour faire quoi? Lui dire ce qu’il y avait dans sa propre tête? Il est le premier ministre. En matière de sécurité nationale, il est l’ultime responsable.

En avril, lors de l’enquête publique, la commissaire a contraint par la honte le premier ministre à dire enfin la vérité. Il a été révélé que le SCRS a donné au Cabinet du premier ministre au moins 34 séances d’information sur l’ingérence étrangère entre juin 2018 et décembre 2022, et que le premier ministre lui-même a été personnellement informé à au moins 3 reprises au cours de cette période. C’est ce qui est ressorti de l’enquête publique. Je n’invente rien. Ce sont les faits, sénateur Gold. Le SCRS a attiré l’attention du premier ministre sur de l’ingérence étrangère dans les élections de 2018 et de 2019 et a offert des recommandations pour en prémunir le Canada aux futures élections.

Depuis, deux projets de loi ont été présentés à la Chambre des communes. Un projet de loi amasse la poussière, et il a fallu une enquête publique pour que le premier ministre admette la vérité. Notre premier ministre n’a tenu compte d’aucune des recommandations. Il n’a rien fait de l’information qui lui a été fournie au cours de ces séances d’information.

De plus, il a continué de mentir à propos de ces séances d’information. Il a menti aux Canadiens, et il a menti au Parlement. M. Trudeau a tenté de prétendre que l’information ne lui était pas parvenue. Lors de son témoignage dans le cadre de l’enquête Hogue, il a affirmé qu’il ne lisait pas beaucoup — quelle surprise! — et que la seule façon de s’assurer qu’il était au courant de quelque chose était de le lui dire verbalement. Pourtant, à une précédente comparution devant un comité de la Chambre des communes, la cheffe de cabinet du premier ministre, Katie Telford, avait déclaré que M. Trudeau lisait tous les documents qu’on lui remettait. Bel exemple de la main gauche qui ne sait pas ce que fait la main droite.

(2020)

Quoi qu’il en soit, il s’agit de 34 occasions manquées de faire quelque chose au sujet de l’ingérence étrangère, et Justin Trudeau a plutôt choisi de faire fi des avertissements.

En décembre 2019 et 2020 et de nouveau en février 2022, le premier ministre a été informé de l’ingérence électorale, et on lui a demandé d’approuver des mesures pour lutter contre elle lors des futures élections. À ces trois occasions, il a refusé de le faire. Il a également reçu trois rapports du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement faisant état de préoccupations relatives à l’ingérence étrangère, mais il n’a rien fait pour y donner suite. On peut difficilement dire que c’est le comportement d’une personne proactive.

De plus, grâce à la juge Hogue, nous savons maintenant que le premier ministre a été mis au courant de l’ingérence de Pékin dans la nomination du député libéral Han Dong à Toronto et qu’il a sciemment choisi de ne rien faire à ce sujet parce que, comme il l’a lui-même admis à la juge, il ne voulait pas perdre cette circonscription. C’est le premier ministre qui l’a dit, chers collègues, et personne d’autre. Le premier ministre a fait passer ses propres intérêts électoraux avant les intérêts de la démocratie canadienne. Il a fait passer ses intérêts politiques et sa soif de pouvoir avant la sécurité nationale et l’intégrité de nos élections. C’est vraiment le comble pour quelqu’un qui accuse constamment les autres de miner la confiance dans nos institutions démocratiques.

Monsieur Trudeau n’a pas non plus donné suite à des renseignements selon lesquels un diplomate chinois se trouvant au Canada aurait ciblé le député Michael Chong, y compris au moyen de menaces envers sa famille à Hong Kong. Il s’agit du diplomate dont j’ai parlé il y a un instant, celui contre lequel le Service canadien du renseignement de sécurité a mis en garde Affaires mondiales Canada à maintes reprises, pour ensuite se faire rabrouer par la ministre des Affaires étrangères.

Le dernier rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement confirme ce qui a été rapporté dans le Globe and Mail l’an dernier, à savoir qu’Affaires mondiales Canada n’a pas tenu compte de ces avertissements répétés. Pendant ce temps, les propos tenus par le premier ministre l’automne dernier trahissent son omission d’agir à l’égard de ces renseignements lorsqu’il en a eu l’occasion pour la première fois. Le premier ministre a dit qu’il a ordonné la tenue d’une enquête sur cette affaire dès qu’elle a été rendue publique, et non pas lorsqu’il en a été informé pour la première fois deux ans plus tôt. Il a demandé l’enquête seulement après que l’affaire a été rendue publique.

Soit dit en passant, ces menaces à l’endroit du député Chong et de sa famille sont arrivées au moment où la Chambre débattait d’une motion visant à reconnaître le génocide des Ouïghours. C’était une motion semblable à celle qui a été honteusement rejetée ici au Sénat. L’ambassadeur de la Chine au Canada de l’époque avait déjà mis les sénateurs en garde contre de telles motions. La raison pour laquelle il l’a fait alors qu’il était dans ma ville, Montréal, ne m’a pas échappé : il s’agissait d’un événement public.

L’ingérence de Pékin n’a pas fonctionné à la Chambre — même si, je vous le rappelle, le gouvernement n’a pas voté en faveur de la motion —, mais elle a parfaitement fonctionné dans cette enceinte, la seule Chambre de tous les pays démocratiques occidentaux à avoir refusé de reconnaître la situation du peuple ouïghour. Ce fut un jour honteux pour notre institution et une décision que je n’arrive toujours pas à comprendre.

Une autre motion qui a été adoptée à la Chambre des communes non pas une, mais bien deux fois, demandait au gouvernement de déclarer que le Corps des Gardiens de la révolution islamique est une organisation terroriste. La première motion a été adoptée il y a six ans, et la deuxième pendant la session actuelle. Les libéraux de Trudeau continuent de refuser de donner suite à l’une ou l’autre des motions. Ce gouvernement ne refuse pas simplement d’inscrire le Corps des Gardiens de la révolution islamique sur la liste des organisations terroristes; il a permis à des membres de cette secte meurtrière de venir au Canada pour, par exemple, donner des conférences dans nos universités. Qu’est-ce qui pourrait mal tourner?

Pour commencer, le régime pernicieux de l’Iran est le plus grand commanditaire du terrorisme d’État, et vous pouvez être assurés qu’il est impliqué dans certaines des manifestations pro-Hamas qui ont eu lieu sur nos campus universitaires et dans nos rues au cours des derniers mois. Pourquoi notre gouvernement ne pose-t-il pas de questions au sujet de ces liens, et surtout de la provenance du financement?

Puisqu’on parle de poser des questions, vous souvenez-vous de toutes les questions que nous avions sur le licenciement de deux scientifiques du Laboratoire national de microbiologie à Winnipeg, des scientifiques qui, on le sait maintenant, travaillaient intentionnellement pour servir les intérêts du Parti communiste chinois, et non ceux du Canada? Le gouvernement Trudeau était-il proactif lorsqu’il a, pendant plusieurs années, fait tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher les Canadiens d’apprendre la vérité sur ce qui s’est passé dans ce laboratoire? Ce n’est que dernièrement que nous avons appris la vérité parce que, une fois de plus, l’opposition l’a cherchée sans relâche. Le gouvernement Trudeau a essayé aussi longtemps que possible d’étouffer l’affaire, tout d’abord en invoquant des préoccupations en matière de protection de la vie privée et de sécurité afin d’éviter quatre motions du Parlement et de ses comités exigeant le dépôt de documents pertinents. En fin de compte, le Parlement a déclaré le président de l’Agence de la santé publique du Canada coupable d’outrage au Parlement, puis Justin Trudeau a poursuivi le Parlement en justice. Pensez-y : le premier ministre a fait appel à la Cour fédérale pour bloquer un ordre du Parlement.

Cette tactique cynique démontre non seulement le manque de sérieux de Justin Trudeau en matière d’ingérence étrangère, mais constitue un exemple de plus du mépris qu’il affiche à l’égard de la suprématie du Parlement. Il voulait que les tribunaux, le pouvoir judiciaire, s’ingèrent dans le privilège du pouvoir législatif. C’est vraiment une situation qui aurait pu causer des dommages énormes au système parlementaire et à la démocratie canadienne.

C’est dire jusqu’où il est prêt à aller, non pas pour lutter contre l’ingérence étrangère, mais pour dissimuler l’inaction de son gouvernement dans ce dossier.

La Cour n’a pas eu à se prononcer, puisque le premier ministre a jugé bon de dissoudre le Parlement. C’est finalement un comité spécial composé de quatre députés et de trois anciens juges qui a finalement pris la décision de divulguer les documents pertinents. Ce faisant, ils ont déclaré que, bien qu’un certain degré de secret soit justifié en ce qui concerne certains documents du SCRS, la plupart des documents avaient été retenus par le gouvernement dans le but de protéger l’organisation contre l’embarras, plus que pour des raisons légitimes de sécurité nationale.

Le gouvernement Trudeau utilise maintenant la même stratégie dans le cas de l’enquête Hogue sur l’ingérence étrangère. Il caviarde lourdement ou retient complètement tous les documents pertinents du Cabinet que le ministre de la Sécurité publique, Dominic Leblanc, a proposés à la commission d’enquête en septembre dernier, peu importe à quel point ils sont sensibles ou pas.

Encore une fois, les libéraux tiennent de beaux discours mais font le contraire.

Je rappelle que le premier ministre peut lever la confidentialité des délibérations du Cabinet et qu’il devrait la lever, comme il l’a promis. Il a le pouvoir de le faire, tout comme pour le rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement.

Justin Trudeau est le seul à pouvoir divulguer le rapport non caviardé, ou des parties de celui-ci, y compris les noms de tout parlementaire soupçonné d’avoir été impliqué, sciemment ou involontairement, dans une affaire d’ingérence étrangère. Les Canadiens et les parlementaires, quelle que soit leur allégeance politique, méritent d’être informés. Au lieu de cela, les chefs des partis arrivés en quatrième et cinquième position font des déclarations publiques qui ne font que brouiller les pistes sur ce que contient ou ne contient pas le rapport. Entre Elizabeth May et Jagmeet Singh, les Canadiens n’y comprennent plus rien.

En passant, chers collègues, il y a deux choses que le comité a entendues au cours de l’étude du projet de loi C-70 et qui doivent être consignées ici. Premièrement, les affirmations selon lesquelles les allégations contre les parlementaires ne peuvent être discutées parce qu’elles font l’objet d’une enquête de la GRC sont bidon. Deuxièmement, il n’y a probablement pas de mécanisme dans le Code criminel pour enquêter sur ces allégations, parce que ce que l’on décrit ne satisfait probablement pas aux critères très élevés de ce qui constitue la trahison.

Le témoignage a rendu d’autant plus clair le fait que les allégations devront être traitées par une autre mesure, telle que la publication des noms des parlementaires impliqués. Les parlementaires sont des hommes politiques, et la responsabilité politique existe au sein du Parlement. C’est là que nous allons au fond de la responsabilité politique.

Cependant, une fois de plus, le gouvernement Trudeau dit une chose et fait le contraire. Après avoir d’abord semblé accepter d’envoyer le rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement à la juge Hogue pour qu’elle enquête sur les allégations concernant des parlementaires — des députés et des sénateurs nommés publiquement — qu’elle croit impliqués, le ministre LeBlanc a rechigné lors de sa comparution devant le comité sénatorial lorsqu’on lui a demandé si les documents pertinents allaient être remis. Il s’agissait d’une question bien précise du sénateur Carignan, je crois. Il a simplement tergiversé; il n’a pas donné de réponse claire.

Pendant ce temps, au cours de la fin de semaine, la ministre des Affaires étrangères a décidé de brouiller les cartes à son tour. Elle ne sait pas que le Canada a déployé un navire de guerre aux côtés des Russes à Cuba, mais elle n’a pas hésité à dire à Vassy Kapelos qu’aucun membre du caucus libéral n’était visé par le rapport. C’est étrange, car lorsqu’on a posé la question au premier ministre lors du G7 au cours de la fin de semaine, à savoir si des libéraux figuraient sur la liste, il a refusé de répondre. Soit la ministre des Affaires étrangères est mêlée, comme d’habitude, et le premier ministre a recommencé à ne pas lire ses notes d’information, soit ils ne sont pas honnêtes. Je leur accorde bien sûr le bénéfice du doute.

Cependant, le premier ministre a bel et bien fait comprendre aux Canadiens et aux médias, lors du Sommet du G7, qu’il met en doute le travail du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, le CPSNR. Il a fait écho aux propos du ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, en déclarant qu’il n’approuvait pas l’interprétation de l’ingérence étrangère qu’a faite le comité et qu’il avait indiqué clairement à ses membres les problèmes que lui posait leur travail. Il est bien question du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, un organisme dont nous parlons tous et dans lequel nous avons tous beaucoup confiance, à l’exception du premier ministre, de toute évidence.

Pourquoi ce type se pose-t-il toujours en autorité suprême sur tout et en vient-il à critiquer et à dénigrer le travail de tous ceux qui ne sont pas d’accord avec lui, même s’il s’agit de ses propres experts triés sur le volet? Rappelons-nous ce que M. Trudeau a dit à propos de ce comité des parlementaires en mars 2023 :

[…] Le CPSNR est bien placé pour examiner les tentatives d’ingérence étrangère qui ont eu lieu lors des 43e et 44e élections générales fédérales, y compris leurs répercussions possibles sur la démocratie et les institutions canadiennes […]

(2030)

C’est une chose un jour, mais c’en est une autre le lendemain.

Je vais vous rappeler ce que le leader du gouvernement au Sénat — notre collègue le sénateur Gold — a dit il y a moins de deux semaines à propos du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Dans son dernier rapport, il a souligné la valeur du travail du comité et a dit que le gouvernement l’en remerciait. Sénateur Gold, vous devriez envoyer une petite note au premier ministre Trudeau parce que vous n’êtes pas sur la même longueur d’onde, mais pas du tout.

M. Trudeau remettra aussi en question l’enquête menée par la juge Hogue lorsqu’elle se terminera. Savez-vous quel travail il ne remet pas en question? Il n’a pas remis en question le travail du rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère qu’il a nommé : un ami de la famille, l’ancien gouverneur général David Johnston. Le fait que M. Harper a tout de même nommé un ami très proche de la famille Trudeau montre son absence de partisanerie dans ces dossiers. Il est malheureux que M. Trudeau et M. Johnston n’en fassent pas autant.

Bref, la ministre Joly et le premier ministre Trudeau aiment citer le rapporteur spécial comme un autre exemple illustrant que le Canada est le pays le plus proactif du G7 en ce qui concerne la lutte contre l’ingérence étrangère. Comme vous vous en souviendrez, nommer le rapporteur spécial était la réponse initiale du gouvernement Trudeau aux appels des conservateurs pour une enquête publique et un registre des agents étrangers. Le rapporteur spécial allait régler tous les problèmes.

Le gouvernement Trudeau n’a jamais voulu rendre des comptes ou prendre au sérieux l’ingérence étrangère, chers collègues. Il voulait tergiverser. Il voulait causer des retards. Le rapporteur spécial n’a même pas parlé au député libéral Han Dong, qui était au centre des allégations d’ingérence électorale. Le 6 juin 2023, le rapporteur a admis devant un comité de la Chambre qu’il n’avait même pas accès aux renseignements que le Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, a fournis à l’ex-chef conservateur Erin O’Toole dans le cadre d’une séance d’information. Le rapporteur a dit : « Les informations que nous avons étudiées [...] sont celles qui étaient disponibles au moment de notre examen. »

Plus tard dans la journée, lors d’une entrevue accordée à David Cochrane de CBC, il a dit : « Il y avait un océan d’informations à traiter; nous avons pu examiner l’équivalent d’un très grand lac. » Pourtant, après tout cela, le rapporteur s’est exclamé : « Il n’y a rien à voir, les amis! Poursuivez votre chemin. Le Canada est l’incarnation de la sécurité nationale. »

Le lendemain de cette entrevue à la CBC, mon collègue le sénateur Plett a posé la question suivante au sénateur Gold lors de la période des questions : « [...] qui a sélectionné les informations du SCRS sur lesquelles le rapporteur a fondé son rapport? » Aucune réponse n’a été donnée, mais nous connaissons tous la réponse. Nous savons d’où proviennent les informations. Quel désastre total, quel gaspillage de temps et d’argent des contribuables, et quelle mascarade. Les Canadiens méritent mieux.

Au bout du compte, Justin Trudeau est la seule personne qui, grâce aux renseignements de sécurité qu’il a obtenus, a le pouvoir de dire la vérité aux Canadiens au sujet de l’ingérence étrangère dans les élections ou au Parlement. Les diverses institutions qui sont reconnues pour être très poreuses sont infiltrées par des régimes qui n’ont aucun respect pour la démocratie, la liberté, la primauté du droit et les droits de la personne. Le premier ministre dit qu’il est important que les Canadiens aient confiance dans notre capacité de défendre les institutions démocratiques canadiennes. C’est l’excuse qu’il utilise pour ne pas divulguer les noms des parlementaires énoncés dans le rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. En fait, son manque de transparence et de franchise a l’effet contraire, chers collègues. Quand tous les parlementaires font l’objet de suspicion, comment les Canadiens peuvent-ils avoir confiance en nous ou dans nos institutions?

Je comprends que la divulgation de ces noms aura des conséquences qu’il faut prendre en considération, tant en ce qui a trait aux sources qui ont fourni l’information aux services de renseignement qu’en ce qui a trait aux principes de la primauté du droit. Cependant, en quoi le premier ministre se préoccupait-il de la protection des sources et de la primauté du droit l’an dernier, quand il a accusé à brûle-pourpoint à la Chambre des communes le gouvernement de l’Inde d’être impliqué dans le meurtre d’un Britanno-Colombien, en juin dernier — sans offrir aucune preuve? Son seul argument à l’intention des Canadiens était : « Croyez-moi. J’ai vu, et je crois. »

Quant au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et les renseignements, il a remis au premier ministre trois rapports faisant état de préoccupations concernant l’ingérence étrangère. De même, le SCRS a fourni plusieurs rapports sur l’ingérence étrangère, assortis de recommandations visant à se prémunir contre ce type d’ingérence. Ces comptes rendus et ces rapports du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et les renseignements remontent à 2018. Cela fait six ans, et ce n’est que maintenant que nous envisageons d’adopter un projet de loi à ce sujet. Comme pour tout le reste, le gouvernement agit à toute vitesse, à la hâte. Après tout, il n’a eu que neuf ans pour réfléchir à la question. Il n’y a pas de quoi être fier, sénateur Gold. Ce n’est pas une utilisation valable des compétences et de la bonne volonté des parlementaires, et surtout des sénateurs. Pour ce qui est du gouvernement, on ne dirait pas qu’il est impatient de mener la lutte contre l’ingérence étrangère.

Malgré l’histoire révisionniste de Justin Trudeau — pas plus tard qu’en fin de semaine, il a dit aux médias qu’il avait fait des choses contre lesquelles le gouvernement Harper s’était battu —, la vérité, c’est que la première chose que le gouvernement a faite lorsqu’il est arrivé au pouvoir a été d’abroger une loi sur l’ingérence étrangère d’un gouvernement précédent, l’ancien projet de loi C-51. Cette loi était la première étape. On avait recensé des problèmes en 2013 et en 2014. Le projet de loi C-51 était le premier pas, en 2015, en vue de renforcer nos lois sur la sécurité nationale, et c’était un précurseur de ce qui allait ensuite devenir un registre des agents de l’étranger.

Je vais vous dire ce qui s’est passé, chers collègues. La première chose que le gouvernement a faite en arrivant au pouvoir a été d’abroger le projet de loi. Il l’a remanié, il l’a abrogé, puis il a présenté le projet de loi C-59, qui lui a enlevé tout son mordant. Allez le lire. Lisez le projet de loi C-51, puis lisez le projet de loi C-59 remanié. Le sénateur Gold était le parrain de ce projet de loi. C’est la première chose que le gouvernement a faite. Il a ensuite passé les neuf années suivantes à faire tout ce qu’il pouvait pour contrer les tentatives des conservateurs de lutter contre l’ingérence étrangère et la répression transnationale, notamment en nous lançant des accusations de racisme et de sectarisme. Des députés libéraux ont même allègrement propagé de fausses informations et des théories du complot en ligne.

Nous étudions ce projet de loi aujourd’hui simplement parce que le gouvernement a épuisé tous les moyens à sa disposition pour éviter d’en arriver là. Il a tergiversé comme jamais auparavant, essentiellement pour éviter d’établir un registre des agents étrangers. D’ailleurs, je ne suis pas encore sûr que ce registre sera créé, car, à vrai dire, je ne suis pas aussi optimiste que le sénateur Dean. J’ai un peu de difficulté à croire que les fonctionnaires seront en mesure de le créer en 12 mois, avant les prochaines élections. C’est ce qui préoccupe la plupart des parlementaires qui devront faire face à la population canadienne lors des prochaines élections générales, ceux d’entre nous qui veulent des élections justes et libres de toute ingérence de la part d’entités étrangères. J’espère qu’il y aura assez de bonne volonté de la part du gouvernement et des fonctionnaires pour qu’on puisse créer le registre.

Honorables collègues, je vais appuyer ce projet de loi, même si on l’a présenté à la hâte et qu’on a retardé le processus sans cesse. Au bout du compte, nous savons tous que le gouvernement s’est empressé de proposer cette solution à la suite de la publication d’un rapport préliminaire accablant dans lequel la juge Hogue a indiqué que le gouvernement se traîne les pieds dans le dossier de la lutte contre l’ingérence étrangère. Comme toujours, il a fait les choses à la hâte pour pouvoir faire croire aux gens qu’il a fait quelque chose et pour prendre des mesures avant les prochaines élections.

C’est toujours mieux que la solution de rechange. Je continue de croire que ce projet de loi n’est qu’une première étape. Je suis convaincu que le prochain gouvernement prendra au sérieux la sécurité nationale et l’ingérence étrangère et qu’il ajoutera toutes les mesures qu’il faut à ce projet de loi, y compris les outils et les ressources pour la GRC et le SCRS, de manière à ce que les services de police du pays puissent communiquer entre eux et lutter contre la menace sérieuse qui pèse sur notre démocratie et, surtout, sur le peuple canadien.

J’ai commencé à m’intéresser à l’ingérence étrangère il y a de nombreuses années pour une raison simple. Des Canadiens d’origine cubaine sont venus à mon bureau. J’ai reçu des Hongkongais et des Canadiens d’origine chinoise et persane. Ils sont venus à mon bureau les uns après les autres, me racontant d’horribles histoires d’intimidation et de menaces de la part de gouvernements étrangers à l’encontre de citoyens canadiens. Voilà ce qu’est l’ingérence étrangère : il s’agit de régimes comme la Chine, l’Iran, Cuba, la Russie et la Türkiye qui croient pouvoir intimider les gens dans leur pays et, malheureusement, ils le peuvent, et nos moyens d’action sont limités. Toutefois, lorsque ces pays viennent sur notre sol et s’en prennent à des Canadiens simplement parce qu’ils sont originaires de ces pays et qu’ils les intimident, eux et leurs familles, au profit de ces dictatures impitoyables, il y a un sérieux problème.

Peu m’importe qui est le premier ministre ou quel parti forme le gouvernement. Ce n’est pas une question de politique. Il est question de l’essence même de la citoyenneté canadienne et de ce qui nous a tous amenés ici. Je l’ai dit mille fois : nous sommes tous des immigrants au Canada et nous venons tous ici pour la liberté, la démocratie et la primauté du droit. C’est ce que nous disent les gens: ils immigrent dans un pays qui respecte les droits de la personne. En tant que parlementaires, nous devrions nous battre pour cela par-dessus tout, à tout prix.

Merci chers collègues. J’appuie ce projet de loi, et faisons en sorte qu’il soit adopté.

Des voix : Bravo!

(2040)

L’honorable Marilou McPhedran : Je me demande si l’honorable sénateur Housakos accepterait de répondre à une question.

Le sénateur Housakos : Bien sûr.

La sénatrice McPhedran : Sénateur Housakos, je suis perplexe et j’espère que vous pourrez m’aider à mieux comprendre. Vous nous avez présenté une analyse impressionnante de tout ce qui cloche dans ce projet de loi et, à la fin de votre discours, vous avez indiqué que vous êtes favorable à son adoption rapide. Est-ce que cela comprendrait l’étude article par article demain, puis le renvoi à la Chambre pour un vote presque instantané? Est-ce bien ce que vous êtes en train de dire?

Le sénateur Housakos : Sénatrice McPhedran, je ne sais pas à quel moment vous avez cru entendre qu’il y a beaucoup de dispositions qui clochent dans ce projet de loi. C’est un pas de géant par rapport à la situation actuelle, c’est-à-dire l’absence totale de projet de loi et de mécanisme de lutte contre l’ingérence étrangère. Deux élections successives ont eu lieu. Divers rapports et diverses sources de renseignements nous en ont parlé. Malheureusement, c’est au premier ministre qu’ils communiquent cette information. En effet, lorsqu’il s’agit de sécurité nationale et des mesures à prendre à ce sujet, tous les chemins mènent au bureau du premier ministre, et ce, en raison des lacunes dans les mécanismes de reddition de comptes du Parlement.

Des élections auront lieu bientôt, soit dans 12 mois, et nous devons, de la manière la plus crédible qui soit, fournir à Élections Canada, à la GRC, au SCRS et à tous les organismes concernés les outils nécessaires. Avant toute chose, ce projet de loi a un effet dissuasif, car nous modifions enfin le Code criminel afin d’exclure les acteurs étrangers. Voyons les choses en face : nous savons ce qu’est l’ingérence étrangère, nous le savons tous. Si vous venez au Canada et tentez de vous immiscer dans notre démocratie et nos institutions et de leur nuire, il y a un prix à payer.

Y a-t-il des éléments du projet de loi que je souhaiterais voir renforcés? Oui, et nous les renforcerons en temps opportun. Aurais‑je préféré que cette mesure soit débattue il y a deux ans, lorsque j’ai déposé mon projet de loi? Quand on regarde mon projet de loi S-237, on constate qu’il est semblable à la mesure à l’étude, à quelques exceptions près; certains éléments de mon projet de loi sont plus forts, d’autres plus faibles. Aurais-je préféré que le gouvernement se montre intéressé il y a deux ans et quatre mois, qu’il s’empare du projet de loi, l’amende, en débatte et le renforce jusqu’à ce que tous les sénateurs en soient satisfaits, de sorte que nous ne serions pas ici, maintenant, à adopter cette mesure à la dernière minute avant l’ajournement d’été? C’est décidément ce que j’aurais préféré. C’est un point dont vous pourriez discuter avec le leader du gouvernement et avec les sénateurs et les autres personnes qui n’ont jamais voulu discuter de ce dossier avant la semaine dernière et qui ont choisi d’attendre à la dernière minute.

Il est important pour la démocratie et pour toutes les personnes qui ont appelé à l’aide au cours de la dernière décennie — les Canadiens qui ont ressenti l’ingérence exercée par Pékin et Téhéran — de montrer que le projet de loi est sérieux et qu’il s’attaque au problème. C’est pourquoi je pense que le projet de loi est parfait en tant que première étape. Toutes les imperfections qui doivent être corrigées peuvent l’être au fil du temps. Cependant, retarder le projet de loi enverrait un message terrible à tous les acteurs terribles qui tentent d’infiltrer la démocratie canadienne et qui l’ont déjà fait.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Dean, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants.)

Le Code canadien du travail
Le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’honorable Frances Lankin propose que le projet de loi C-58, Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles, soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, j’ai l’honneur et le privilège d’être la marraine au Sénat du projet de loi. Le moment est historique, et je suis heureuse d’en faire partie, de proposer la troisième lecture et de lancer le débat à cette étape.

Le débat porte sur le projet de loi C-58, Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles. Ce projet de loi vise à instaurer un régime d’équilibre en ce qui concerne l’interdiction de recourir aux travailleurs de remplacement durant une grève ou un lock-out dans les industries sous réglementation fédérale. De plus, il prévoit une disposition qui régit le moment opportun et les étapes à respecter pour conclure une entente relative au maintien des activités et la prise de décisions par le Conseil canadien des relations industrielles, ce qui aurait une incidence sur la nature du travail à maintenir pendant une grève.

En deuxième lecture, j’ai eu l’occasion de m’expliquer davantage, mais je vais vous rappeler à qui ce projet de loi fait référence. Il fait référence aux organisations du secteur privé de compétence fédérale visées aux parties I, II, III et IV du Code canadien du travail. Il existe des exemples plus détaillés que celui‑ci, mais en voici quelques-uns qui vous aideront à comprendre de qui nous parlons : le transport aérien, les banques, les services portuaires, les chemins de fer, la radiodiffusion et la télédiffusion, les services de transport routier, les systèmes de télécommunication, certains organismes de gouvernance des Premières Nations et un certain nombre de secteurs, tous sous réglementation fédérale. La distinction à faire est que les lieux de travail sous réglementation provinciale régis, entre autres, par la Loi sur les normes d’emploi et les règlements du code du travail — au provincial — sont des secteurs sous réglementation fédérale. Le projet de loi n’inclut pas les lieux de travail fédéraux régis par une mesure législative différente que le Code canadien du travail. La fonction publique fédérale ou le Parlement sont de bons exemples de ce qui n’est pas touché.

En ce qui concerne les débats sur ce projet de loi à la Chambre des communes — et j’en ai parlé également à l’étape de la deuxième lecture —, il y a eu adoption à l’unanimité à l’étape de la deuxième lecture, après l’étude en comité et à l’étape de la troisième lecture. Deux ou trois amendements ont été apportés à la Chambre des communes, mais, au bout du compte, le comité a adopté le projet de loi à l’unanimité, tout comme la Chambre des communes. Ici, au Sénat, le projet de loi a été adopté à l’étape de la deuxième lecture, et il a été adopté par le comité, encore une fois, sans aucun amendement. Nous en sommes au débat à l’étape de la troisième lecture.

Pendant les audiences du comité, nous avons pris connaissance, que ce soit dans le cadre de témoignages directs ou par des mémoires, de l’avis d’employeurs, d’associations patronales, de syndicats et de centrales syndicales, comme le Congrès du travail du Canada. Nous avons pris connaissance de l’avis d’universitaires, du Conseil canadien des relations industrielles et d’organismes, d’organismes directement touchés, mais connexes. Dans un instant, je parlerai de la Fédération canadienne de l’agriculture et des préoccupations qu’elle a soulevées.

Je tiens à souligner quelques-unes des préoccupations soulevées par des employeurs. Encore une fois, si vous vous souvenez de mon discours à l’étape de la deuxième lecture, j’ai beaucoup parlé du fait que les opinions sont très partagées. Il n’y a pas beaucoup de place pour un terrain d’entente entre les groupes de défense d’intérêts, sauf que les gens pensent que les dispositions ont été mises en place en prévision du processus de détermination concernant les ententes de maintien des activités, du processus de détermination par la voie de la négociation entre les parties à l’entente, ou du renvoi du différend au Conseil canadien des relations industrielles pour fins d’enquête, d’adjudication et de déclaration. Ce n’est pas vraiment controversé. Ce qui l’est, c’est la question fondamentale d’interdire ou non les travailleurs de remplacement.

Chers collègues, c’est une question d’équilibre. C’est aussi simple que cela. Il est évident que les parties ont une opinion différente de ce qui constitue un régime équilibré. Pour la plupart, les employeurs estiment que le Code canadien du travail, tel qu’il est à l’heure actuelle, représente un juste équilibre, tandis que les syndicats disent depuis des années que ce régime est injuste, qu’il impose des restrictions aux travailleurs et qu’il brime leur droit effectif de faire la grève. Il est réellement impossible de concilier ces deux points de vue.

J’aimerais souligner quelques-unes des préoccupations qui ont été portées à l’attention du comité. Je tiens à ce que les gens sachent que leur voix a été entendue et que les problèmes qu’ils ont exposés ont été pris en considération. Je vais parler d’une observation que le comité a annexée au rapport, mais en fin de compte, le comité a adopté le projet de loi sans amendement.

(2050)

Permettez-moi d’évoquer brièvement certaines des préoccupations des employeurs. L’une des choses que nous avons entendues très précisément, c’est que les employeurs s’inquiétaient de la capacité du Conseil canadien des relations industrielles à mettre en œuvre ce projet de loi dans les 12 mois suivant la sanction royale, c’est-à-dire au moment où la loi entrerait en vigueur. Le projet de loi initial prévoyait un délai de 18 mois, qui a été amendé à 12 mois par la Chambre des communes, et la communauté des employeurs estime que cela pose problème. Elle s’appuie sur les déclarations faites par le ministre lors de la présentation du projet de loi pour défendre le délai de 18 mois, à savoir qu’il s’agit du temps nécessaire pour mettre en place les systèmes requis au Conseil pour traiter les plaintes, les renvois, les décisions d’arbitrage et les décisions sur déclaration.

Au comité de la Chambre des communes, le Bloc québécois a présenté des amendements visant à raccourcir cette période, et je pense que le cheminement du projet de loi a été compris différemment dans cette province en raison du fait qu’elle dispose d’une législation similaire depuis 1977. L’idée qu’il y ait là un défi en ce qui concerne la mise en œuvre n’a pas reçu autant d’importance, et l’on pensait que le délai pourrait être plus court. Les syndicats ont également demandé qu’il soit beaucoup plus court. Ils demandaient que la loi entre en vigueur dès la sanction royale.

Le ministre a communiqué à nouveau avec le CCRI pour lui faire part de ces différents points de vue et lui demander s’il était possible de raccourcir le délai. D’après les discussions que nous avons eues en comité, je sais que le CCRI a clairement dit qu’il pouvait le faire, mais seulement s’il obtenait plus de ressources. Il doit engager plus d’employés, de présidents et de vice-présidents. Il doit assurer leur formation, et ces formations doivent être mises en œuvre à l’aide des systèmes dont il dispose déjà pour les ententes de maintien des activités, ce qui fait partie du régime actuel.

Toutefois, cela fixe des délais différents et impose des cadres différents. On s’attend à ce que les premières rondes de négociation avec les diverses unités de négociation et les employeurs mettent la loi quelque peu à l’épreuve, ce qui pourrait entraîner une augmentation du volume de travail. À l’heure actuelle, le CCRI est également confronté à un arriéré. Le CCRI a dit : « Voici les ressources dont nous avons besoin. » Le ministre s’est engagé publiquement à fournir ces ressources en acceptant d’appuyer l’amendement étudié en comité à la Chambre des communes, qui vise à réduire le délai à 12 mois.

Bien que l’on craigne un peu que ces ressources ne soient pas fournies, je tiens à souligner que le gouvernement a prévu des ressources pour la mise en œuvre du projet de loi C-58 dans le budget de cette année et dans celui de l’année dernière. Il y a donc eu une certaine planification à cet égard, et on me dit que des discussions sont en cours entre les ministères et le CCRI en ce moment même concernant la forme exacte des ressources à venir.

Les employeurs pensent aussi que cette mesure législative devrait faire l’objet d’un examen. Ils jugent que le système actuel est équilibré, que cette mesure entraînerait un déséquilibre. Ils veulent un examen — je ne parlerai pas pour les autres membres du comité, même si aucun amendement n’a été présenté à ce sujet —, mais mon problème, avec cet argument, c’est que dans les négociations collectives, les ententes ne sont généralement pas conclues pour un ou deux ans. Elles visent souvent une plus longue période et surviennent à divers moments. Il faut donc un certain temps pour recueillir suffisamment de données ou de preuves utiles pour effectuer une analyse de l’incidence de cette mesure législative, et les employeurs demandent un examen quinquennal.

À mon avis, ce n’est pas assez long pour évaluer cette mesure législative et en comprendre les incidences, le cas échéant. Je vais parler dans un instant de ce que les universitaires nous ont dit — ils s’attendent à une très faible incidence —, mais je crois que nous devrions tous appuyer la tenue d’un examen à un moment approprié. Je dirais, non sans ironie, que ce n’est pas parce qu’une chose est inscrite dans la loi qu’elle va avoir lieu au moment opportun, et cela peu importe le parti au pouvoir. C’est tout simplement ainsi que fonctionne le processus parlementaire.

La question que nous devions nous poser était la suivante : « L’équilibre proposé dans la mesure législative — le nouveau rééquilibrage ou l’entrée en vigueur de ce que le mouvement syndical considèrerait comme une question fondamentale d’équité — est-il le bon? »

Par exemple, nous avons entendu la Fédération canadienne de l’agriculture, et j’ai trouvé que sa présentation était très sincère et importante. Ses représentants ont parlé des mesures de protection, des dispositions et des exemptions pour le transport du grain en vrac, mais d’autres produits maraîchers ne sont pas exemptés. Je pense que la fédération croit de façon générale que le grain en vrac devrait être exempté, bien qu’il ne l’ait jamais été, mais le projet de loi ne prévoit rien à ce sujet.

Ce qui préoccupe la fédération, c’est l’expédition de ses marchandises. De nombreuses associations de fabricants s’inquiètent du transport. Les Manufacturiers et Exportateurs du Canada ont soulevé cette question. Par exemple, les chemins de fer, qui constituent un moyen de transport essentiel pour les produits agricoles, seront visés par le projet de loi. Je vous demande d’examiner les négociations qui ont eu lieu avec ces intervenants, les compagnies ferroviaires et leurs syndicats, au fil des ans.

À l’échelon fédéral, notre système de relations de travail est bien rodé. Il existe depuis longtemps. Nous pouvons compter sur un processus de conciliation et de médiation très efficace et fructueux. La grande majorité des différends sont réglés à la table de négociation, comme il se doit. Quatre-vingt-quatorze pour cent des différends qui passent à l’étape subséquente du litige et qui nécessitent les services de conciliation et de médiation se concluent par une entente. Cela représente un petit nombre. Je tiens à vous faire remarquer que, en général, les gouvernements prêtent attention lorsque des secteurs du marché du travail affirment, dans un sens ou dans l’autre, qu’il y a un problème et que le gouvernement doit intervenir — que ce soit par l’intermédiaire du Conseil canadien des relations industrielles ou d’un appel au gouvernement.

Ceux d’entre vous qui sont ici depuis quelques années — je ne suis ici que depuis huit ans, mais j’ai participé à deux débats sur une loi de retour au travail : le port de Montréal et Postes Canada — savent que ce recours est le gros bout du bâton pour les gouvernements. Les gouvernements doivent respecter des critères afin de veiller à ce que tout projet de loi de retour au travail soit conforme à la Constitution. Nous sommes nombreux à avoir des opinions différentes sur la question de savoir si ces deux cas satisfaisaient aux critères, mais le gouvernement a ce pouvoir. Comme je l’ai observé au fil des ans, les deux Chambres du Parlement ont tendance à suivre la position du gouvernement pour tout projet de loi de retour au travail. Donc, le gros bout du bâton, c’est ce pouvoir.

Ce n’est pas que les préoccupations soulevées ne sont pas raisonnables — elles le sont, et c’est pourquoi je tiens à ce qu’elles soient consignées au compte rendu — mais il y a des mécanismes dans le système et le droit actuels en ce qui concerne l’accord de maintien des activités et le pouvoir ultime du gouvernement de recourir à une loi forçant le retour au travail, lorsqu’il estime que les conditions pour le faire sont réunies.

Une grande entreprise de télécommunications nous a également fait parvenir un mémoire dans lequel elle indiquait qu’afin de maintenir des services de télécommunications essentiels, elle souhaitait que le projet de loi prévoie une exemption ou supprime une interdiction dans les exemptions, afin qu’elle puisse transférer des employés n’appartenant pas à l’unité de négociation d’un endroit à l’autre. Les arguments que nous avons reçus du syndicat impliqué dans cette affaire après les travaux du comité — ils ne nous sont parvenus que ces derniers jours — réfutaient efficacement cet argument.

Je n’ai pas besoin d’entrer dans les détails de ce qu’ils ont dit. Je voudrais plutôt revenir sur une citation de la Cour suprême du Canada que je vous ai lue lors du débat en deuxième lecture. En 2015, la Cour suprême du Canada a affirmé que les dispositions relatives à la liberté d’association de la Charte canadienne des droits et libertés protègent le droit de grève. Dans le texte de la décision de la Cour suprême, la juge Abella, qui a rendu la décision, écrit :

L’histoire, la jurisprudence et les obligations internationales du Canada confirment que, dans notre régime de relations de travail, le droit de grève constitue un élément essentiel d’un processus véritable de négociation collective.

(2100)

Elle a ensuite cité Otto Kahn-Freund et Bob Hepple, qui ont dit ceci :

Le pouvoir des travailleurs de cesser le travail équivaut à celui de la direction de cesser la production, de la réorienter, de la déplacer.

Je veux que vous vous souveniez de ces mots. Cela s’inscrit dans le cadre des pouvoirs opérationnels actuels de l’employeur. Ce que le syndicat veut dire à ce sujet, c’est que si cette manœuvre est utilisée pour déplacer des cadres ou des travailleurs de remplacement pendant la grève, cela porte atteinte au droit de grève.

Cette citation se poursuit ainsi :

Le régime juridique qui supprime la liberté de grève met les salariés à la merci de l’employeur. Là réside tout simplement l’essentiel.

Permettre à un employeur de déplacer tout simplement, de son propre chef, des employés d’un lieu de travail à un autre — et je sais que la plupart d’entre nous pensent d’abord à d’autres lieux au Canada, à juste titre — porte fondamentalement atteinte au droit de grève, qui est garanti par l’article 15 de la Charte et par l’article qui traite de la liberté d’association. Il faut concrétiser ces droits, et on ne peut pas, par un amendement à la loi, y porter atteinte.

J’ai dit qu’on peut probablement penser à des lieux de travail au Canada. Je connais une situation où, avant un lock-out, un employeur a transféré une grande partie du travail à un centre d’appels à l’étranger, allant ainsi complètement à l’encontre du droit de grève, et une situation où on a eu recours à des travailleurs de remplacement au pays.

Ce sont des cas qui sont inacceptables, mais je ne voudrais surtout pas mettre tous les employeurs dans le même panier. D’ailleurs, comme je l’ai dit, il y a un cadre de relations de travail très bien rodé dans les secteurs sous réglementation fédérale. Cependant, le recours à des travailleurs de remplacement mine le droit de grève, et ce projet de loi propose le rééquilibrage dont j’ai parlé, mais il vise aussi à rendre enfin les choses plus équitables.

J’aimerais parler brièvement de quelques autres exemples de ce qui se produit actuellement dans des secteurs sous réglementation fédérale, car ils montrent pourquoi ce projet de loi est si important. Parlons un instant du Port de Québec. Les ports sont sous réglementation fédérale, et ces travailleurs sont sans travail depuis 20 mois; c’est beaucoup de temps. Pensons à ces gens, à leur famille, à leurs concitoyens, à ces collectivités où le pouvoir d’achat est limité, où les gens ont du mal à subvenir aux besoins de leur famille et doivent décider, compte tenu des circonstances, s’ils quitteront un emploi qu’ils ont occupé longtemps. Ce sont des travailleurs de remplacement qui permettent de garder ce port ouvert. C’est un exemple qui montre pourquoi ce projet de loi est nécessaire.

Permettez-moi de parler des travailleurs de Vidéotron. Voilà sept mois qu’ils sont — pas en grève, chers collègues — en lock-out. J’ai pu rencontrer certains des travailleurs de Vidéotron qui sont venus observer la façon dont le comité traite cette question. Je ne me souviens pas de tous leurs noms, mais je me souviens d’une femme en particulier — France — parce que nous portons le même nom. Elle travaille là depuis des dizaines et des dizaines d’années. L’employeur l’a mise en lock-out. Il a fait appel à des travailleurs de remplacement et ses activités se déroulent normalement. France est à six mois de la retraite, et il est possible qu’elle ne retourne jamais occuper son poste. Tout cela a une incidence sur sa capacité actuelle à subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, mais aussi sur son avenir. Cela me fend le cœur.

Je l’ai déjà dit : la dernière chose que les travailleurs souhaitent, c’est de se faire la grève. Dans le cas présent, ils ne sont pas en grève : ils ont été mis en lock-out. Avant ce lock-out, on a délibérément planifié le déplacement des ressources dans d’autres secteurs pour permettre à l’employeur, je présume, de faire craquer le syndicat. Je n’ai de preuves et je ne veux pas dénigrer qui que ce soit, mais c’est l’impression que cela donne. Si ça cancane comme un canard et si ça nage comme un canard, c’est probablement un canard. D’après mon expérience des relations de travail, cela m’a tout l’air d’être le cas. Ce projet de loi est important.

Je vais parler un instant du rapport du comité et du choix qu’il a fait d’ajouter une observation en annexe. Il y est question des ressources nécessaires pour permettre au Conseil canadien des relations industrielles de respecter les exigences créées par la mesure législative dans les meilleurs délais, étant donné que l’entrée en vigueur est prévue 12 mois après l’obtention de la sanction royale.

Voici donc l’observation du vingt-quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie sur le projet de loi C-58 :

Votre comité a reçu des témoignages concernant les responsabilités élargies proposées pour le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil), telle que l’exigence de résolution rapide des plaintes liées à l’utilisation interdite des travailleurs de remplacement. Votre comité a été informé que, par conséquent, le Conseil aura besoin de ressources supplémentaires (sous forme de personnel, de vice-présidents et de financement) pour pouvoir faire face efficacement à l’augmentation de la charge de travail créée par le projet de loi, en particulier parce que certaines de ses dispositions stipulent des délais spécifiques pour le tranchement des questions. Les témoins ont exprimé des préoccupations selon lesquelles, sans un financement adéquat et un accès rapide à davantage de ressources humaines, le Conseil pourrait faire face à des retards, ce qui pourrait entraîner des interruptions de service prolongées dans des secteurs critiques.

Votre comité recommande donc que le gouvernement du Canada assure un financement adéquat et constant pour le Conseil, pour que le Conseil puisse remplir efficacement ses responsabilités élargies et assurer la résolution rapide des conflits de travail. Votre comité recommande également que le gouvernement du Canada évalue et ajuste les montants du financement régulièrement en prenant en compte la charge de travail du Conseil.

Comme je l’ai dit, nous avons entendu directement l’avis des personnes qui représentaient le conseil, et elles ont assuré publiquement, sans hésitation, qu’elles peuvent le faire en 12 mois si elles reçoivent les ressources nécessaires. J’ai fait remarquer que l’argent et les ressources nécessaires pour la mise en œuvre de ce projet de loi ont été inclus dans les deux derniers budgets, ce qui explique pourquoi le comité présente cette observation. Et encore une fois, l’observation a été appuyée par tous les membres du comité. Les sénateurs de tous les groupes reconnus y étaient favorables, c’est pourquoi elle a été incluse.

Je tiens aussi à mentionner brièvement que plusieurs universitaires se sont également présentés devant le comité. Sans entrer dans les détails des types de recherche qui existent, je pense que nous connaissons tous des organismes qui présentent des travaux de recherche de défense des intérêts, et je le dis avec respect. J’ai fait des travaux de recherche pour la défense des intérêts dans ma carrière. Il s’agit de travaux de recherche menés avec une prémisse qui sera appuyée ou non par les résultats, et non de travaux de recherche universitaires rigoureux, qui sont une tout autre paire de manches.

Nous avons notamment entendu un universitaire qui vient, je crois, de l’Université de Montréal et qui a collaboré avec quelqu’un de l’Université de Toronto. Ses travaux de recherche se sont étalés sur 40 ans. Il a examiné toute une gamme de politiques du travail antérieures à 1992 et postérieures à 1992. Je ne parle pas seulement des politiques sur les travailleurs de remplacement — même si c’est l’une des choses qui ont été abordées —, mais toute une gamme de politiques du travail. Il a tenté de déterminer, encore une fois, sur la base de données probantes, quelles sont les répercussions de ces diverses politiques du travail. Il s’agit d’une étude qui a fait l’objet de recherches approfondies, qui a été examinée par des pairs et qui a été publiée dans la revue Industrial Relations de Berkeley, l’une des revues de recherche en relations de travail les plus réputées. Elle est donc crédible.

En fin de compte, l’étude n’a pas permis de trouver de preuves statistiquement pertinentes montrant que l’une ou l’autre de ces politiques a eu en soi une incidence sur la fréquence ou la durée des arrêts de travail. Ce sont les deux choses qui inquiètent le plus les gens : y aura-t-il d’autres grèves? Seront-elles plus longues à cause de ce projet de loi?

Les travaux universitaires qui ont été faits, même en ce qui concerne certains des éléments de la défense des intérêts, ne permettent pas d’établir clairement des arguments qui peuvent être présentés et sont un peu sélectifs. Certaines questions relèvent des provinces et beaucoup remontent à la période d’avant la COVID. Nous savons que les choses ont beaucoup changé depuis. Cela n’a pas eu le même poids, pour moi, en tant que membre du comité, que cet article publié dans une revue académique. Il me semble logique qu’un seul changement de politique, encore une fois, dans un pays doté d’un cadre de relations de travail très bien rodé, ait un impact énorme en soi.

(2110)

Si vous examinez la fréquence des grèves, vous verrez qu’elle dépend bien plus des éléments de l’économie auxquels nous sommes confrontés. L’inflation croissante entraîne une diminution de la valeur des chèques de paie des travailleurs. On observe des tentatives à la table des négociations pour influer sur ce phénomène et augmenter les salaires, et on voit apparaître davantage de conflits pendant ces périodes. Ce n’est pas le seul exemple, mais de nombreux facteurs externes entrent en jeu et déterminent à la fois la fréquence et la durée des conflits.

Chers collègues, l’objectif était de vous donner un aperçu de ce qui s’est passé en comité afin que vous compreniez les arguments avancés. Il s’agit d’un moment historique. Vous pourrez prendre part à un vote ce soir. Il s’agit d’un développement évolutif historique dans le monde des relations de travail du secteur industriel sous réglementation fédérale.

Les syndicats ont fait valoir à maintes reprises qu’ils réclament un projet de loi comme celui-là depuis l’époque où le Canada n’était pas encore le Canada. Pensez-y un instant. Je pourrais vous présenter toutes sortes de descriptions historiques de grèves ou de lockouts qui sont survenus à l’époque où les employeurs faisaient appel à Pinkerton pour que ses agents viennent imposer, par la force, le point de vue de l’employeur. Je ne dis pas que tous les employeurs sont du même acabit, je le rappelle.

Le mouvement syndical, les syndiqués, les familles et les collectivités ont tous ressenti, pendant des années, les effets de ce déséquilibre dans les relations de travail, et ils se sont aussi battus pendant des années pour une mesure comme celle dont nous parlons. Je me sens donc fier, honoré et touché d’être ici et de participer à ce moment. J’espère que ressentez le poids historique du vote auquel nous nous apprêtons à participer et de ce qu’il représente pour les travailleurs du Canada, pour les familles et pour l’avenir des relations de travail dans notre pays. C’est un moment d’une immense importance. Il s’agit d’un dossier important, et je vous invite tous à continuer sur la lancée actuelle, puisque ce projet de loi a été adopté sans amendement au comité, qu’il a déjà été adopté en deuxième lecture au Sénat, et qu’il a été adopté à l’unanimité en deuxième et en troisième lectures à la Chambre des communes. Votre appui sera grandement apprécié par beaucoup de gens partout au pays. Merci beaucoup.

Des voix : Bravo!

L’honorable Marty Deacon : Ma collègue accepterait-elle de répondre à une question? Je sais que vous avez terminé votre discours et que vous en êtes très heureuse, mais je pense aussi que c’est un peu un hommage. Il y a quelques semaines, vous avez parlé de votre expérience dans ce domaine. C’est quelque chose qui vous passionne grandement et dont vous êtes très fière. Vous avez fait référence à 1992 dans le cadre de votre intervention.

Au cours de cette extraordinaire intervention, je vous ai écoutée parler de votre préoccupation quant à la diversité des représentants syndicaux témoignant devant le comité. J’ai également prêté attention à vos remarques sur le rapport de force entre les employés et l’employeur et la façon d’assurer un juste équilibre.

En prenant du recul et en examinant les améliorations ou les changements les plus significatifs, pourriez-vous nous faire part du plus important ou des deux plus importants?

La sénatrice Lankin : Je ne suis pas certaine de comprendre la question. Le ou les deux plus importants quoi?

La sénatrice M. Deacon : Entre le moment où vous avez commencé à investir — en 1992, selon vous — à maintenant, moment où nous sommes saisis de ce projet de loi majeur, qu’estimez-vous être les deux plus importantes améliorations apportées?

La sénatrice Lankin : C’est une question très intéressante. Il est dommage que vous ne m’ayez pas prévenue pour me donner le temps d’y réfléchir. Premièrement, cela ne remonte pas à 1992. À cette date, j’ai présenté un projet de loi visant à conférer aux fonctionnaires de l’Ontario le droit de faire la grève. Toutefois, comme je l’ai dit, je m’implique dans le mouvement syndical depuis la fin des années 1970, à l’époque où, à titre de travailleuse, j’ai commencé à m’impliquer au sein de mon syndicat.

Je pourrais mentionner bien des choses qui ont été améliorées au fil des ans, mais je crois que j’irais avec le précompte obligatoire des cotisations. Si votre lieu de travail se syndicalise et que vous bénéficiez des conventions collectives, des décisions des instances judiciaires ou des ententes conclues avec d’autres autorités, le précompte obligatoire des cotisations, conformément à la formule Rand, est nécessaire.

Au fil des ans, des rajustements cruciaux ont été apportés au processus de syndicalisation d’un lieu de travail, comme le scrutin, sa supervision, sa structure ou encore les lois interdisant aux employeurs d’intervenir ou d’intimider les travailleurs pour les empêcher de signer une carte syndicale. Le fait d’avoir étendu au secteur public le droit de faire la grève a été crucial.

Ce ne sont que quelques exemples parmi d’autres. Il y a eu tant d’avancées législatives au fil des ans qui ont été obtenues au prix de durs combats et de dures victoires. J’ai mentionné à l’étape de la deuxième lecture que, en Ontario, lorsque j’étais membre du Cabinet, ce n’est pas mon ministère, mais le ministère du Travail qui a proposé une mesure législative interdisant le recours à des travailleurs de remplacement, appelée familièrement loi « anti‑briseurs de grève ». Cette mesure législative a été adoptée et ce fut un moment de réjouissance, un peu comme je me sens en ce moment. Toutefois, une des premières choses que le gouvernement suivant a faites, le gouvernement conservateur de Mike Harris en Ontario, fut malheureusement d’abroger la loi.

D’autres provinces, comme le Québec, avaient déjà mis en place une telle mesure. Depuis, la Colombie-Britannique en a mis une en place et le Manitoba envisage présentement de le faire. D’autres pays dans le monde ont élaboré ce type de loi, mais il reste encore beaucoup de travail à faire. Il y a encore au sud de la frontière des États qui ont adopté des lois sur le droit au travail, ce qui semble très bien, mais qui signifie en fait le droit d’interdire les syndicats et de les tenir à l’écart des lieux de travail.

Il y a beaucoup de travail à faire en solidarité avec les travailleurs du Canada et du monde entier. Je suis reconnaissante au gouvernement actuel, bien que je puisse être en désaccord avec lui sur de nombreux points à différents moments, et je suis reconnaissante de l’entente de soutien sans participation qu’il a signé avec les néo-démocrates. Ce n’est pas parce que cette entente est à l’origine de ce projet de loi, puisque c’est le Parlement qui est responsable. Ce n’est pas non plus parce que les deux partis n’ont pas inclus cette question dans leur programme électoral lorsqu’ils ont fait campagne afin que les gens sachent ce qui allait se passer. Toutefois, le travail de collaboration effectué pour négocier les dispositions du projet de loi et le présenter d’une manière qui tienne compte des sensibilités des employeurs et des syndicats a donné lieu à un projet de loi qui a obtenu un résultat extraordinaire : il a été adopté à l’unanimité par la Chambre des communes, sans une seule voix contre. Il semble que nous nous approchions de la même réponse ici au Sénat et je suis fière et heureuse de voir que nous y parvenons. Merci.

L’honorable Hassan Yussuff : Merci, chers collègues. C’est un honneur de prendre la parole au Sénat ce soir pour participer au débat sur ce projet de loi. Selon un vieux dicton : « Si on vit assez longtemps, on peut finir par se tromper sur tout. » Je ne suis pas né de la dernière pluie. Je n’aurais jamais pensé que je siégerais au Sénat, et encore moins que je participerais à un débat sur un projet de loi qui s’inscrit dans ce que j’ai fait pendant une partie de ma vie. C’est un honneur d’être ici.

Permettez-moi d’abord de remercier ma collègue la sénatrice Frances Lankin d’avoir marrainé le projet de loi et travaillé si fort dans ce dossier. Au fil des décennies, de nombreux militants de partout au pays ont réclamé un projet de loi à ce sujet tant à l’échelon national que provincial.

Je vais faire un bref rappel historique. Au cours des 25 dernières années — lorsque j’étais président du Congrès du travail du Canada —, il y a eu plusieurs tentatives au Parlement et chacune d’entre elles a avorté à diverses étapes. Le projet de loi qui s’est rendu le plus loin a franchi l’étape de la deuxième lecture, mais pas celle de la troisième lecture.

(2120)

Depuis 2002, 19 projets de loi d’initiative parlementaire visant à interdire les travailleurs de remplacement ont été présentés à l’autre endroit. Dans une grande mesure, c’est révélateur d’un gouvernement minoritaire et de la collaboration entre le gouvernement et le NPD. Toutefois, lors des dernières élections, la plateforme électorale de la majorité des partis prévoyait l’interdiction des travailleurs de remplacement.

En quoi consiste cette mesure législative? La sénatrice Lankin en a beaucoup dit à ce sujet. Selon certains, ce projet de loi ferait des choses terribles. Il n’y a en fait rien de terrible à son sujet. La grande majorité des négociations au pays, y compris à l’échelon fédéral, sont conclues sans qu’on en entende parler. Les parties parviennent à négocier une convention collective et poursuivent leurs relations.

Ce projet de loi permettra de rétablir l’équilibre et l’équité dans le système fédéral, car il y a un manque depuis longtemps. Il augmentera le respect à l’égard des travailleurs et reconnaîtra leur droit fondamental de faire la grève — un droit qui, lors du rapatriement de la Constitution en 1982, n’était pas envisagé comme faisant partie de la Constitution. Il aura fallu y mettre des efforts, bien sûr. J’y reviendrai dans un instant.

Dans une large mesure, les travailleurs ne décident pas de faire la grève le matin où leur convention collective est arrivée à échéance. En général, les travailleurs veulent que leur syndicat négocie pour en arriver à une entente équitable et, plus important encore, qu’il veille à ce qu’ils aient encore un lieu de travail, où ils pourront continuer d’occuper leur emploi, comme ils le font depuis des dizaines d’années, pour nombre d’entre eux. Les travailleurs veulent que leur employeur soit prospère, et ils contribuent à ce succès quand ils conviennent d’une convention collective.

Ce projet de loi est important à plusieurs égards. Il s’agit de maintenir l’harmonie qui existe entre les employeurs et leurs employés. Les employés veulent s’assurer que, lorsqu’il y a une négociation, ils sont en mesure de parvenir à un accord équitable. Toutefois, en cas de conflit, les employeurs ne veulent pas que cela nuise à la relation qui existe entre travailleurs. La plupart du temps, lorsqu’on fait appel à des travailleurs de remplacement, la relation avec les travailleurs est anéantie dès qu’un de ces derniers franchit le piquet de grève. Il en résulte de l’animosité, et il peut falloir beaucoup de temps pour rétablir les relations; cela peut même être impossible. En outre, un employeur qui fait face à une grève prolongée et qui a recours à des travailleurs de remplacement n’est parfois pas en mesure de reprendre ses activités normales avant bien longtemps en raison des torts occasionnés.

En ce qui concerne l’histoire des travailleurs de remplacement, mentionnons qu’une telle loi est en vigueur au Québec depuis près de 50 ans, malgré les nombreux changements de gouvernement, et que pas un seul de ces gouvernements n’a dit : « Nous devons abroger cette loi et la remplacer par quelque chose d’autre. » La Colombie-Britannique a connu une expérience similaire. Malgré la succession des gouvernements, cette loi est toujours en vigueur dans cette province.

Il est essentiel de prendre conscience de l’importance des négociations collectives. Je dis toujours que les négociations collectives sont l’occasion pour les parties de discuter d’égale à égale, dans le cadre de relations solides. Elles peuvent se pencher sur la convention collective. Habituellement, les deux côtés veulent régler certains points, et 99 % du temps — parfois même plus, dans certains cas —, ils arrivent à une entente sans trop bousculer leurs relations. Cependant, il y a parfois des conflits. Les travailleurs font la grève. La plupart du temps, lorsque les relations sont solides et que les parties ont recours aux services offerts par le gouvernement — que l’on pense au service de médiation ou, dans certains cas, au Conseil canadien des relations industrielles —, elles arrivent à un règlement et trouvent une façon de retourner au travail pour faire ce qu’elles veulent, c’est-à-dire faire en sorte que l’entreprise maintienne ses activités et respecte ses obligations.

À mon avis, cette mesure législative apportera une stabilité dans les secteurs relevant du fédéral. Je crois aussi qu’elle montrera à d’autres gouvernements au pays qu’ils doivent adopter une loi semblable. Cette mesure législative a été débattue à l’autre endroit. Au Manitoba, le gouvernement s’est maintenant engagé à interdire le recours aux travailleurs de remplacement dans la province.

Il est important pour nous de mettre les choses en contexte, puisque la Cour suprême a statué que le droit de grève est un droit fondamental protégé par la Constitution. J’ai peut-être une compréhension naïve de l’interprétation, mais je crois qu’il s’agit d’un droit fondamental. Nous ne pouvons pas retirer ou miner ce droit. C’est comme le droit à la liberté d’expression. On ne peut pas adopter un projet de loi qui limite la liberté d’expression parce que tout le monde demandera « Qu’en est-il de la liberté d’expression? » Si les travailleurs ont le droit de faire la grève, ce qui est reconnu comme un droit fondamental selon la Constitution, je crois alors que lorsque les législateurs interviennent pour leur retirer ce droit, ils minent le fondement le plus important de notre Constitution, à savoir la primauté du droit.

Cette Chambre et l’autre endroit ont, par le passé, adopté des lois de retour au travail. Dans mon ancienne vie, je me suis totalement opposé à chacune d’entre elles parce que je crois fondamentalement que les parties doivent négocier. J’ai souvent été à une table de négociations où il y avait des différends. Je reconnais une importance fondamentale : les deux parties finiront par faire un bout de chemin et s’entendront sur une convention collective. Ce ne sera peut-être pas ce que le syndicat veut, et ce ne sera peut-être pas tout ce que l’employeur souhaite, mais, à un moment donné, ils doivent reconnaître l’importance de la libre négociation collective, où les parties peuvent s’asseoir et négocier sans que quelqu’un les menace en disant : « Si vous ne faites pas ceci, nous vous enlèverons votre droit fondamental. »

Ce pays s’est doté d’une importante classe moyenne. Les syndicats y ont contribué en grande partie en élevant le niveau de vie des travailleurs et en améliorant le contexte dans lequel nous travaillons. Les lois sur la santé et la sécurité sont apparues parce que, à de nombreuses reprises, lorsque les droits des travailleurs n’étaient pas reconnus par la législation, les travailleurs ont dû se battre avec leur employeur pour établir ces droits dans le cadre d’une convention collective. Plus tard, bien sûr, le gouvernement a reconnu la nécessité d’inscrire ces droits dans la législation. Si les travailleurs peuvent bénéficier de ces droits dans leur convention collective, tout le monde devrait, en fin de compte, en bénéficier.

Nos journées de travail ne sont pas forcément de huit heures — bien qu’elles le soient parfois au Sénat —, mais le droit à une journée de huit heures a été instauré parce que des travailleurs y ont vu un principe fondamental et qu’ils ont négocié pour l’intégrer à leur convention collective. Après un certain temps, les lois du pays ont reconnu que tous les membres de la société devaient avoir droit à une journée de huit heures.

Le droit à une indemnisation en cas d’accident du travail n’est pas apparu un beau matin parce que le gouvernement s’était réveillé en pensant que ce serait une bonne idée. Des travailleurs ont parfois dû faire la grève et négocier avec leur employeur pour obtenir une protection après un accident de travail. Après un certain temps, comme on le sait, les lois ont été modifiées pour que ce genre de protection soit reconnu de façon plus large.

Je crois que le gouvernement vise juste en proposant de modifier le Code canadien du travail pour interdire le recours aux travailleurs de remplacement au niveau fédéral. Tous les députés sont aussi de cet avis, puisqu’ils ont adopté ce projet de loi à l’unanimité.

Je tiens à citer un extrait de la décision de la Cour suprême qui a été lue plus tôt. Elle a été rendue en 2015 par la juge Abella et ses collègues dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan :

Le droit de grève n’est pas seulement dérivé de la négociation collective, il en constitue une composante indispensable.

Le texte de la décision continue comme suit :

Le temps me paraît venu de le consacrer constitutionnellement.

Ce sont les mots de la juge Abella. Le fait d’adopter le projet de loi ce soir revient à consacrer le Code canadien du travail, ce que méritent les travailleurs fédéraux du pays. Merci beaucoup.

Des voix : Bravo!

L’honorable Krista Ross : Sénateur Yussuff, j’ai une question, si vous le permettez.

Je m’inquiète vivement de l’effet général que ce genre de projet de loi pourrait avoir sur l’économie. Selon un rapport que j’ai lu de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, les grèves dans les ports de Montréal et de la Colombie-Britannique ont eu des répercussions économiques considérables et entraîné des coûts énormes pour les petites entreprises. Je sais que ce ne sont pas les mêmes domaines que ceux couverts par le projet de loi, mais cela nous donne une idée de l’impact possible. La fermeture du port de Montréal pourrait coûter à l’économie canadienne de 40 à 100 millions de dollars par semaine, et je pense beaucoup aux petites et moyennes entreprises qui ont été fortement touchées par des choses comme la chaîne d’approvisionnement. Ce ne sont pas les entreprises qui feraient la grève, mais leur capacité à fournir des services à leurs clients et à employer leurs propres salariés serait réellement affectée.

(2130)

Je crains également que les entreprises canadiennes ne soient forcées de conclure des accords qui sont au-dessus de leurs moyens pour éviter de nouveaux arrêts de travail, et peut-être d’envisager de recourir à la sous-traitance. J’aimerais connaître votre avis sur ces points.

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie de la question.

Il est difficile de répondre à une question sur ce que cela coûtera. Essentiellement, chaque fois qu’il y a un différend et que les travailleurs doivent exercer le droit de grève, il y a un coût à cela. Lorsque des travailleurs sont en grève, ils ne sont pas rémunérés comme ils le sont normalement, alors ils ont un coût à payer pour exercer ce droit. Il pourrait effectivement y avoir un coût pour l’économie, et j’ignore quel serait ce coût, mais, au bout du compte, il y a un système bien établi à l’échelle fédérale, et le Conseil canadien des relations industrielles est là pour servir de médiateur entre les partis lorsque certains dossiers lui sont confiés. Dans d’autres situations, des services de médiation et de conciliation sont toujours à la disposition des parties, et en négociant, les parties elles-mêmes reconnaissent qu’elles veulent en arriver à une entente qui soit dans l’intérêt de toutes les parties. Cela inclut les coûts à payer pour faire fonctionner l’entreprise, mais aussi tenir compte des problèmes soulevés par les travailleurs et trouver de vraies solutions pour répondre à leurs préoccupations.

Tout au long des 45 années où j’ai dû prendre part à des négociations collectives, avant mon arrivée au Sénat, je n’ai jamais vu un employeur conclure une entente qui, au bout du compte, l’empêcherait de maintenir les activités de l’entreprise. Un employeur ne conclurait pas une entente qui ne lui permettait pas de maintenir les activités de son entreprise.

En ce qui concerne votre question, je comprends qu’il puisse y avoir des conséquences et des coûts, mais il m’est difficile d’y répondre. Je ne sais pas si j’accepterais les chiffres avancés par certaines parties. Il est évident que la fermeture de certains pans de l’économie entraîne des coûts, mais en fin de compte, ce que nous voulons garantir, c’est qu’en cas de différend, tous les services nécessaires que le gouvernement peut fournir pour amener les parties à résoudre ce différend doivent être mis en œuvre aussi rapidement que possible. Il est important de reconnaître et de placer ceci dans le même contexte. Si les travailleurs ont le droit fondamental de faire la grève, nous devons réfléchir aux conséquences de la suppression de ce droit, car un droit fondamental est exactement cela : un droit fondamental, rien de moins. Or, pendant trop longtemps au Canada, nous avons traité le droit fondamental des travailleurs comme un concept abstrait, comme s’il ne méritait pas d’être pris en considération parce qu’il entravait l’efficacité de l’économie.

Je reconnais la nécessité d’une économie qui fonctionne bien. Cependant, je reconnais aussi que, pour avoir de bonnes relations de travail, les parties doivent parvenir à une entente qui représente leurs intérêts, tout en prenant en considération les intérêts du pays si l’économie nationale peut être touchée.

L’honorable Colin Deacon : Honorables sénateurs, ma question s’inscrit dans le prolongement de celle que ma collègue la sénatrice Ross vient de poser. Vous avez déjà beaucoup entendu parler du projet de loi C-58. Il empêche simplement le recours à des travailleurs de remplacement dans les lieux de travail sous réglementation fédérale, hors fonction publique fédérale, pendant un conflit contractuel ou une grève.

Je tiens à souligner le travail de toute une vie de deux de nos collègues : la sénatrice Lankin et le sénateur Yussuff. Mon expérience professionnelle est tout à fait différente, et c’est ce qui rend ce lieu de travail si spécial. Je suis honoré de siéger avec vous tous ici.

Chers collègues, protéger les droits des travailleurs est essentiel. Le mouvement syndical a beaucoup contribué à assurer une relation équitable entre employeurs et travailleurs. Cependant, je suis préoccupé par les conséquences imprévues de ce projet de loi, notamment pour les petites entreprises, qui emploient plus des deux tiers des travailleurs du secteur privé au Canada. Ce sera le sujet de mes observations.

Les petites entreprises continuent à éprouver des difficultés dans notre économie post-COVID. D’abord, elles ont dû composer avec les dommages et la dette accumulée au plus fort de la pandémie de COVID. Après cela, il y a eu l’odieuse invasion de l’Ukraine par la Russie, le blocage du canal de Suez et toute une nouvelle série de perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale qui ont débouché sur l’inflation qui nous a tous frappés de plein fouet. Ensuite, il y a eu les pénuries de main-d’œuvre.

Ces difficultés continuent d’avoir des répercussions pour beaucoup trop de petites entreprises, lesquelles emploient plus de 8 millions de Canadiens, soutenant des familles dans pratiquement toutes les localités au pays. Chacun de ces emplois dépend de la bonne gestion de l’entrepreneur, et nous avons besoin de beaucoup, beaucoup plus d’entrepreneurs au Canada. Selon la Banque de développement du Canada, la BDC, le Canada a perdu 100 000 entrepreneurs au cours des 20 dernières années, tandis que sa population s’est accrue de 10 millions d’habitants. Nos petites entreprises demeurent fragiles.

Quand je songe aux effets du projet de loi C-58, je crains l’effet domino que risque fort probablement d’entraîner un conflit de travail prolongé à l’un des nombreux lieux de travail sous réglementation fédérale faisant partie de nos diverses chaînes d’approvisionnement. Il a été prouvé que l’interdiction, par la voie législative, du recours à des travailleurs de remplacement peut mener à des grèves qui durent plus longtemps. Or, nos petites entreprises n’ont pas les moyens de survivre à de longues perturbations de leur chaîne d’approvisionnement en raison d’une grève. J’ai toujours dit que j’appuie entièrement tout syndicat qui se soucie principalement de la croissance de la productivité. Pourquoi? Parce qu’il s’agit du meilleur moyen d’assurer l’avenir de l’employeur et d’augmenter le salaire des travailleurs. Plus on augmente la valeur livrée par heure travaillée, plus l’employeur aura les moyens de récompenser tous ceux dont les efforts ont permis de créer cette valeur.

Dans un pays où les droits des travailleurs sont bien établis, je pense qu’il s’agit d’une priorité importante — cruciale, en fait. Cependant, ce n’est pas le cas dans de trop nombreux lieux de travail sous réglementation fédérale. Prenons l’exemple de Postes Canada. À la fin de l’automne 2018, au cours de mes premiers mois au Sénat, nous avons débattu d’une loi de retour au travail et voté sur celle-ci pendant un important arrêt de travail à Postes Canada. Les préjudices causés pendant ces quelques semaines de grèves tournantes ont été ressentis le plus profondément par les petites entreprises, en particulier dans les communautés rurales, où il existe peu d’autres choix en matière de livraison. Les dommages ont été exacerbés par le fait que ces grèves tournantes ont eu lieu au moment le plus chargé de l’année et que le choix stratégique des installations a entraîné une accumulation des volumes de courrier et de colis non distribués à une vitesse vertigineuse et à un moment où la survie de nombreuses petites entreprises dépendait de la livraison de la majorité de leurs ventes à l’approche de Noël.

Aujourd’hui, malgré des années de déclin du courrier et une concurrence croissante du secteur privé, Postes Canada ne s’est toujours pas adaptée aux réalités du marché. Le syndicat et la société n’ont pas réussi à trouver des moyens d’améliorer la productivité. Résultat : il y a eu des pertes de 3 milliards de dollars dans les années qui ont suivi la grève. Cette situation n’est pas viable et, à un moment donné, Postes Canada devra procéder à des changements très dérangeants.

Je crains que l’adoption d’une loi de retour au travail comme seule option pour résoudre les conflits de travail ne soit pas une utilisation efficace des institutions législatives ou de leur temps. Je doute qu’elle permette aux syndicats et aux employeurs de donner la priorité à la productivité comme moyen de garantir les emplois et d’améliorer les salaires. Je crains également les effets que cette loi aura sur les investissements des entreprises.

L’institut économique de Montréal a dit :

L’adoption du projet de loi C-58 aura également des répercussions en matière d’investissements. Il a été observé au Canada que les arrêts de travail fréquents et le cadre réglementaire qui les facilite influencent à la baisse l’investissement direct étranger dans les secteurs affectés. Selon une étude, une province dotée d’une législation contre les travailleurs de remplacement affiche un taux d’investissement inférieur de 25 % à celui des autres provinces [...]

Ce projet de loi pourrait avoir des conséquences importantes dans le contexte de la faiblesse de l’investissement privé dans le secteur non résidentiel par travailleur au Canada. Nous sommes bien en dessous de la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économiques et cela diminue les salaires moyens dans l’ensemble du pays.

Chers collègues, la protection des droits des travailleurs est cruciale. Le renforcement du pouvoir des syndicats au moyen d’une loi anti-briseurs de grève peut améliorer la protection des travailleurs, mais il peut s’accompagner de coûts involontaires pour la continuité des activités et la résilience économique. Selon la Banque du Canada, nous sommes en pleine situation d’urgence, car elle estime que la baisse de nos taux de productivité met désormais en péril notre niveau de vie. Je suis d’accord, et nous ne réglerons pas le problème à moins que tous les milieux de travail ne donnent la priorité à la productivité afin que nos moyens de subsistance puissent recommencer à s’améliorer.

(2140)

Je ne suis pas convaincu que le projet de loi permettra d’atteindre cet objectif, et tout ou en partie. Merci, chers collègues.

L’honorable Rodger Cuzner : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur C. Deacon : Certainement.

Le sénateur Cuzner : Merci. Permettez-moi d’abord de faire écho à vos observations sur les contributions que les sénateurs Lankin et Yussuff ont apportées au mouvement syndical au Canada. Je pense que nous pouvons convenir que le mouvement syndical a contribué à l’émergence de la classe moyenne au Canada.

J’ai été des deux côtés des grèves : j’ai fait du piquetage et j’ai dû franchir des piquets de grève en tant que gestionnaire. Aucun des deux côtés n’est amusant, mais, quand on y pense, c’est l’un des rares outils dont disposent les travailleurs. À mon avis, la pression à la baisse sur les salaires s’estompe de plus en plus au Canada pour divers facteurs, mais le droit de grève est l’un d’entre eux.

Dans le secteur fédéral, on veut toujours conclure un accord à la table de négociations. C’est pourquoi on favorise la médiation, l’arbitrage et, enfin, les mesures législatives de retour au travail. J’ai voté en faveur de la mesure législative de retour au travail lors de la grève de Postes Canada dont vous avez parlé. Les grèves sont difficiles : elles détruisent des familles, des collectivités et les relations entre l’entreprise et le propriétaire.

Avez-vous des exemples à nous donner où une mesure législative de retour au travail a vraiment donné de bons résultats pour un patron qui disait : « Nous allons faire appel à des briseurs de grève, à des travailleurs de remplacement. » Ce genre de mesures législatives donnent-elles de bons résultats pour eux?

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie de votre question, sénateur Cuzner. En ce qui me concerne, il ne faut pas que les petites entreprises subissent les effets négatifs des grèves. Une grève dans la chaîne d’approvisionnement peut avoir un énorme effet sur les agriculteurs et les petites entreprises partout au pays. Je souhaite simplement qu’on règle ces grèves. Je ne crois pas que la meilleure façon d’y parvenir passe obligatoirement par l’adoption d’une loi de retour au travail au Parlement.

Chaque fois qu’on tient un débat, il faut beaucoup de temps pour parvenir à ce point — et les conservateurs sont toujours prêts à ajouter leur grain de sel, et je suis d’accord avec eux. Parvenir à une résolution prend trop de temps. Cette mesure prévoit une amende de 100 000 $ par jour pour ceux qui enfreignent la loi, mais pour une petite entreprise, le coût, c’est la survie même de l’entreprise, et aucun syndicat ne protège les petits entrepreneurs. Il n’y a aucun filet de sécurité.

Voilà où je veux en venir. Non, je ne peux vous donner d’exemples. Chaque fois, je ne peux m’empêcher de songer au déséquilibre du pouvoir ressenti par les petits entrepreneurs. Personne ne semble les appuyer.

L’honorable Jim Quinn : Le sénateur accepte-t-il de répondre à une question?

Le sénateur C. Deacon : Certainement.

Le sénateur Quinn : Merci, chers collègues, pour les questions et le débat. C’est extrêmement intéressant et concret.

Ma question porte sur le système de transport. Lorsque les ports, par exemple, sont touchés par une grève, 90 % des biens de consommation de tous les jours transitent, à un moment ou un autre par un port. Par conséquent, si ces produits ne sont pas transportés, cela a une incidence sur les entreprises.

Ma question est la suivante : est-ce que les conséquences imprévues dont vous parlez pourraient être, par exemple, une cargaison de marchandises qui est déviée des ports canadiens? Il faut se battre si fort pour ramener les trajets de cargaison au Canada par la suite. Cela a une incidence sur les emplois, non seulement au niveau commercial, mais aussi au niveau portuaire, n’est-ce pas?

Le sénateur C. Deacon : Merci, sénateur Quinn, et je suis tout à fait d’accord. Je me souviens que, pendant la crise de Suez, une entreprise de Windsor, en Nouvelle-Écosse, ne recevait pas ses commandes parce que les cargaisons de marchandises avaient été détournées et retardées. Par conséquent, elle n’a pas pu respecter ses engagements, alors elle a perdu sa capacité concurrentielle. Elle avait pourtant acheté tout son inventaire, mais elle n’avait pas pu aller jusqu’au point de la vente et a donc perdu une transaction. Cela a eu un effet si dévastateur que des travailleurs non syndiqués ont dû être mis à pied.

Ce sont ces aspects qui font boule de neige qui, selon moi, devraient être examinés dans le cadre de ce débat. Il faut accorder l’attention appropriée à ces aspects, car ils sont bien réels pour les propriétaires de petites entreprises et les travailleurs.

L’honorable Frances Lankin : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur C. Deacon : Certainement, sénatrice, avec tout le respect que je vous dois.

La sénatrice Lankin : J’ai aussi un grand respect pour vous. Nous avons d’excellentes conversations sur certaines de ces choses. J’écoute les interventions, les questions et certaines des réponses, et je ne pense pas que quiconque contesterait le fait que la perturbation d’un milieu de travail a une incidence directe non seulement sur ce milieu de travail, mais aussi sur les partenaires de la collectivité ou l’économie.

J’écoute les discussions. Le sénateur Quinn a posé une question sur un sujet légèrement différent de celui de la réponse que vous avez donnée. Je pense qu’il parlait du cas où un port canadien constate que des entreprises réorientent leurs activités, par exemple, vers un port américain, mais ne peuvent pas les ramener par la suite. Tout d’abord, les commentaires sur la chaîne d’approvisionnement, les petites entreprises et les préoccupations quant à l’incidence que cela aura sur les emplois ne tiennent pas compte de ce que nous avons vu dans la loi actuelle ni des tentatives des gouvernements, lorsqu’il y a un différend, ce qui n’est pas fréquent — il y en a eu deux depuis que je suis ici, et nous avons eu des lois de retour au travail —, ni du fait que les gouvernements agissent. Vous dites que ce n’est pas assez rapide.

L’unique conclusion que je peux tirer de ces commentaires, c’est que la seule solution serait qu’il n’y ait ni droit de grève ni grève. Aidez-moi à comprendre en quoi vous voyez les choses différemment, et rappelons-nous la garantie constitutionnelle dont jouissent les travailleurs quant au droit fondamental de faire la grève.

Le sénateur C. Deacon : Merci, sénatrice Lankin. J’envisage les choses très simplement. Les données suggèrent très fortement que l’incapacité à faire venir des travailleurs de remplacement prolonge la durée des grèves. À mon avis, c’est le cœur du problème. Nous ne voulons pas de grèves plus longues. Je veux m’assurer que l’on entende la voix des petites entreprises canadiennes à cette table. Les petites entreprises subissent très rapidement des préjudices. L’exemple que j’ai donné concernait la perturbation d’un produit qui n’arrivait pas dans un port canadien, mais c’est la même chose qu’un port canadien bloqué. Lorsque les chaînes d’approvisionnement sont perturbées, les coûts pour les entreprises peuvent s’accumuler très rapidement, et si on ne comprend pas cela dans ce débat, je pense que c’est un problème. Pour ma part, c’est ce dont on doit tenir compte. Je veux juste m’assurer que c’est sérieusement envisagé.

[Français]

L’honorable Claude Carignan : Mon discours ne durera que quelques minutes, car je ne voudrais pas retarder l’histoire.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-58, Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles.

Je vous rappelle brièvement que ce projet de loi a pour principal objectif de créer une interdiction d’avoir recours à des travailleurs de remplacement dans les cas de déclenchement de grève ou de lock-out dans les lieux sous réglementation fédérale et de modifier le processus de maintien de certaines activités en milieu de travail.

Lors de mon discours à l’étape de la deuxième lecture, j’ai souligné l’importance pour le Sénat de jouer sérieusement son rôle de second examen, bien que ce projet de loi ait été adopté à l’unanimité à l’autre endroit le 27 mai dernier. Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales des sciences et de la technologie, à qui a été renvoyé ce projet de loi, s’est acquitté de son travail avec diligence, comme c’est notre responsabilité et notre devoir de le faire.

Le comité a entendu plusieurs témoignages, tout comme à l’autre endroit. De façon générale, deux positions importantes ont émergé de ces témoignages.

D’un côté, ceux qui sont en faveur du projet de loi et qui soutiennent notamment l’idée qu’interdire le recours aux travailleurs de remplacement en cas de grève ou de lock-out protège le droit des travailleurs d’exercer leur droit de grève et rétablit l’équilibre dans le rapport de force entre les parties patronale et syndicale dans la négociation des conventions collectives.

De l’autre côté, ceux qui sont en désaccord avec le projet de loi et qui affirment, entre autres, que le fait d’interdire le recours à des travailleurs de remplacement aurait pour effet d’augmenter le nombre de grèves, puisque la partie syndicale ne serait plus encouragée à rester à la table de négociations. De plus, tout cela aurait des répercussions non seulement sur les parties en conflit de travail, mais aussi sur d’autres secteurs de l’économie, et même sur tous les Canadiens et les Canadiennes.

(2150)

J’ouvre une parenthèse afin de souligner que tous ces témoins ont partagé leurs points de vue avec conviction et ont répondu avec soin aux questions posées par le comité. Je tiens à les remercier de l’éclairage qu’ils ont apporté par leurs interventions riches en enseignements. Ils ont contribué à l’exercice de notre devoir de second examen. Je ferme la parenthèse.

À la suite de ces témoignages, le comité a rendu son rapport sans amendement, mais avec certaines observations. Je vous résume brièvement ce rapport. Mentionnons en premier lieu que les observations du comité découlent du fait qu’il a été porté à son attention, lors de la présentation des témoignages, que le Conseil canadien des relations industrielles aura de plus grandes responsabilités par suite de l’adoption du projet de loi C-58.

Le conseil devra avoir accès à plus de ressources en matière de personnel, de vice-présidents et de financement, puisque le projet de loi viendra augmenter sa charge de travail. En effet, le conseil devra trancher sur certaines questions dans des délais précis et sans ces ressources, il pourrait faire face à des retards qui auraient des effets préjudiciables. C’est pour cette raison que le comité a recommandé ceci dans son rapport, et je cite :

[…] que le gouvernement du Canada assure un financement adéquat et constant pour le Conseil, pour que le Conseil puisse remplir efficacement ses responsabilités élargies et assurer la résolution rapide des conflits de travail.

Le comité a aussi recommandé ce qui suit :

[…] que le gouvernement du Canada évalue et ajuste les montants du financement régulièrement en prenant en compte la charge de travail du Conseil.

Lorsque j’ai prononcé mon discours à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-58, j’ai aussi soulevé plusieurs questions, notamment celle de déterminer si, avec ce projet de loi, nous avions trouvé un juste équilibre dans les relations entre les employeurs et les syndicats vis-à-vis de leurs droits et de leurs obligations ou si, bien au contraire, le projet de loi C-58 avait créé un nouveau déséquilibre.

À la suite de l’étude du projet de loi C-58, je crois que cet équilibre est atteint de plus d’une façon, puisqu’il comporte des garanties suffisantes afin d’atténuer les inquiétudes qui ont été soulevées.

D’abord, le témoignage de Ginette Brazeau, présidente du Conseil canadien des relations industrielles, devant le comité a permis de mieux cerner les responsabilités et le travail du conseil, mais surtout de connaître les impacts du projet de loi sur celui-ci.

À titre d’exemple, on peut penser à l’ajout de ressources supplémentaires nécessaires aux nouvelles responsabilités, à l’obligation de respecter les nouveaux délais prévus dans le projet de loi C-58 et au délai nécessaire à la mise en place d’une telle structure.

Mme Brazeau est cependant convaincue que le délai d’un an avant l’entrée en vigueur de la loi permettra d’accomplir le travail nécessaire. Je crois aussi que ce délai permettra au conseil d’être prêt à exercer ses nouvelles responsabilités dès l’entrée en vigueur de la loi.

Ensuite, mentionnons que l’article 6 du projet de loi modifie le Code canadien du travail en ce qui concerne le maintien des activités nécessaires en milieu de travail. En effet, des mesures sont prises pour que l’employeur et le syndicat s’entendent sur les modalités encadrant les activités qu’il est nécessaire de maintenir en cas de grève ou de lock-out. À mon avis, cette mesure assurera à l’employeur et à tous les Canadiens et Canadiennes qu’en cas de grève ou de lock-out, aucune incidence grave ne surviendra, par exemple, sur des services essentiels. Le processus de négociation et de mise en place des postes essentiels avant l’exercice du droit de grève ou le lock-out est rassurant.

Pour toutes les raisons dont j’ai fait état précédemment, je crois que l’équilibre dans les rapports entre la partie patronale et les syndicats représentant de nombreux employés dans les lieux sous réglementation fédérale est atteint. Je crois aussi que les Canadiens et les Canadiennes ne seront pas des victimes collatérales des conflits en milieu de travail en raison de ces modifications.

Maintenant, je tiens à mentionner un fait qui n’est certes pas anodin à mes yeux et je crois au contraire qu’il est important de le souligner. Il a d’ailleurs été évoqué par quelques témoins. Deux provinces au sein du Canada ont déjà des lois comportant des dispositions semblables au projet de loi C-58. Les provinces de Québec et de la Colombie-Britannique ont déjà adopté des dispositions semblables. Ces mesures sont entrées en vigueur au Québec en 1977 dans le Code du travail; plusieurs années plus tard, en 1993, la Colombie-Britannique a adopté une loi similaire, soit le Labour Relations Code.

Le fait que ces dispositions soient en vigueur dans ces deux provinces depuis plusieurs décennies et qu’elles n’aient soulevé aucun enjeu majeur, notamment en ce qui concerne l’accroissement des grèves, est un autre argument qui m’assure du bien-fondé des dispositions du projet de loi C-58.

Les employeurs, les syndicats, leurs conseillers juridiques et leurs conseillers en relations de travail respectifs connaissent bien la dynamique de l’application de ce genre de législation. Nous ne sommes donc pas en territoire inconnu.

Cela étant dit, à la suite de l’étude du projet de loi que j’ai effectuée et de l’analyse des mémoires et des témoignages entendus à l’autre endroit et au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, après le rapport et les recommandations qui ont été formulées, je suis à l’aise de donner mon appui au projet de loi C-58 et je vous invite, chers collègues, à voter en faveur du projet de loi.

J’aimerais ajouter un autre point. L’entreprise qui produit de l’équipement, qui crée des produits, a besoin de ressources matérielles, de ressources financières et de ressources humaines. Évidemment, quand elle négocie avec ses fournisseurs de services matériels, il n’y a pas d’exclusivité. Si on ne s’entend pas, on peut changer de fournisseur. Lorsqu’on négocie avec notre banquier pour des ressources financières, il n’y a pas d’exclusivité et on peut aller voir une autre banque.

Cependant, lorsqu’on négocie avec nos employés, on est face à des personnes qui se sont engagées exclusivement au service de l’employeur, ce qui crée une précarité pour ces individus que les autres fournisseurs de ressources matérielles ou financières n’expérimentent pas. C’est donc extrêmement important que la précarité de la personne qui s’engage pendant des décennies exclusivement auprès d’un seul employeur soit protégée.

Enfin, c’est ce que fait le projet de loi C-58. On s’assure que cette exclusivité soit correspondante et mutuelle du côté de l’employeur, et aussi que l’employeur ne viole pas l’exclusivité corrélative que l’employé s’est donnée. Je crois que c’est une question de respect, et c’est la raison pour laquelle je suis en faveur de ce projet de loi.

Merci.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

(2200)

[Traduction]

Projet de loi canadienne sur les emplois durables

Troisième lecture—Report du vote

L’honorable Hassan Yussuff propose que le projet de loi C-50, Loi concernant la responsabilité, la transparence et la mobilisation à l’appui de la création d’emplois durables pour les travailleurs et de la croissance économique dans une économie carboneutre, soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, c’est avec plaisir que je prends la parole au sujet du projet de loi C-50, la Loi canadienne sur les emplois durables. Aujourd’hui, je souhaite aborder les principaux aspects du projet de loi et la façon dont il créera un cadre permettant non seulement d’atténuer les conséquences négatives qu’aura le passage à la carboneutralité pour les travailleurs et les collectivités, mais aussi de mieux les préparer à tirer parti des possibilités qu’offre ce virage.

Le cadre comprend des principes directeurs, des structures de gouvernance et des exigences en matière de reddition de comptes. Il s’agit d’un projet de loi fondé sur ces principes que sont le dialogue, le consensus, la représentation, la participation, la durabilité, la transparence et la reddition de comptes. Il crée un processus simple pour que les travailleurs, l’industrie et les communautés autochtones puissent s’asseoir à la table des négociations et contribuer à façonner leur avenir. Il prévoit aussi des mesures de reddition de comptes et de transparence, par l’intermédiaire d’un ministre désigné et d’un plan d’action quinquennal qui doit être rendu public.

Chers collègues, il s’agit d’un projet de loi très simple. Il s’agit essentiellement de placer les travailleurs et les collectivités dans lesquelles ils vivent au cœur des politiques gouvernementales qui les touchent le plus, en s’engageant dans un processus de dialogue social pour déterminer comment nous pourrons tous réussir dans un avenir carboneutre.

Chers collègues, je dois admettre que je suis plus que partial à l’égard du projet de loi, car il s’agit de quelque chose que les travailleurs et moi-même, en tant que dirigeant syndical, réclamons depuis longtemps. Je défends aussi passionnément le projet de loi parce que j’ai participé au Groupe de travail sur la transition équitable pour les collectivités et les travailleurs des centrales au charbon canadiennes, que j’ai coprésidé. Je pense que c’est peut‑être l’une des meilleures choses que j’ai faites pour mon pays, et j’aimerais vous faire part d’une histoire au sujet de ce travail et de son lien avec le projet de loi.

La création du groupe de travail est attribuable au fait que le Canada s’est engagé en 2016 à abandonner progressivement la production d’électricité à partir du charbon d’ici 2030. Dans ce contexte, le gouvernement a créé un groupe de travail chargé d’examiner les effets sur les travailleurs et les collectivités de la transition vers une économie moins dépendante du charbon. Le groupe de travail était composé de travailleurs, d’entreprises, d’écologistes et de membres de la collectivité.

Les travaux du groupe de travail nous ont amenés à visiter 15 localités touchées en Alberta, en Saskatchewan, au Nouveau‑Brunswick et en Nouvelle-Écosse, afin d’entendre les problèmes des travailleurs et des collectivités qui dépendent du charbon pour leur survie. Le fait d’entendre directement les entreprises, les travailleurs et les dirigeants des collectivités m’a permis de mieux comprendre ce qui était nécessaire pour assurer à ces travailleurs et à ces populations une transition équitable. Aussi, cela m’a permis de constater que les Canadiens en général, les travailleurs et les collectivités du Canada, ont bon espoir en l’avenir. J’ai aussi été plus à même de cerner les outils politiques que nous devons mettre au point pour que les travailleurs et les populations les plus touchés par les politiques de carboneutralité soient en mesure de participer directement à l’élaboration des politiques gouvernementales qui les concerneront le plus à mesure que les économies du monde, y compris celle du Canada, se décarboneront.

Le rapport final du groupe de travail, publié en 2018, formulait 10 recommandations de politiques, et l’une d’entre elles préconisait l’adoption d’un projet de loi tel que le projet de loi C-50.

Après avoir visité des collectivités comme Coronach, dans le Sud de la Saskatchewan, et le comté de Leduc, en Alberta, j’ai pu constater qu’il fallait avant tout écouter les travailleurs et les collectivités pour comprendre la question de leur point de vue. Nous ne pouvons pas minimiser les inquiétudes et les soupçons réels que les politiques de décarbonation suscitent chez la population et chez les travailleurs, y compris les communautés autochtones, qui dépendent des projets de développement énergétiques — qu’il s’agisse du charbon ou du pétrole et du gaz — pour leur viabilité économique.

Une des façons de répondre aux inquiétudes des travailleurs et des collectivités, c’est de veiller à ce qu’on tienne compte de leurs points de vue et à ce que des solutions pour les aider à effectuer la transition soient élaborées selon une approche ascendante et non descendante. C’est exactement ce que le projet de loi permet de faire. Il donne aux travailleurs et aux collectivités la possibilité de procéder ainsi en collaboration avec le conseil du partenariat, qui doit consulter les travailleurs et les collectivités concernés.

Honorables sénateurs, les transitions font partie de l’histoire de l’humanité. De la révolution industrielle à la révolution de l’information et de l’informatique, les travailleurs, les collectivités et les sociétés ont toujours eu à subir des transitions très difficiles. Chaque transition est source de difficultés et de possibilités pour les travailleurs. L’objectif du gouvernement doit être de réduire au minimum les effets négatifs et de maximiser les avantages de la transition. Voilà le but de ce projet de loi.

Au Canada, au cours des 75 dernières années, les travailleurs ont dû faire face à plusieurs transitions majeures, y compris celles qui découlent de l’automatisation et des politiques commerciales comme l’ALENA. Lors de son discours à l’étape de la deuxième lecture, le sénateur Wells a parlé des effets d’une transition majeure que les travailleurs et les collectivités de l’Atlantique qui dépendent de l’industrie des poissons et fruits de mer ont vécue au début des années 1990, lorsqu’on a fermé la pêche au poisson de fond, ce qui a entraîné la perte de dizaines de milliers d’emplois. Malheureusement, dans la plupart des cas, les travailleurs et les collectivités qui ont été les plus touchées par ces transitions n’ont jamais eu la chance d’avoir un plan proactif et axé avant tout sur leurs intérêts, car, dans la plupart des cas, ils n’ont jamais eu voix au chapitre.

Je dirais que ce qui est différent dans la manière dont le gouvernement tente de gérer cette transition par rapport à d’autres dans le passé, c’est qu’il essaie en fait d’être proactif en créant un plan et en plaçant les intérêts et les points de vue des travailleurs et des collectivités au cœur du processus d’élaboration des politiques pour tenir compte des bons et des mauvais côtés de cette transition.

Je voudrais revenir sur l’exemple du sénateur Wells concernant l’effondrement de la pêche au poisson de fond au Canada atlantique au début des années 1990. Je suis d’accord avec lui pour dire que, dans l’ensemble, la réaction du gouvernement fédéral en matière de politiques et de programmes a été tout à fait inadéquate pour les travailleurs et les collectivités les plus durement touchés par la fermeture de la pêche au poisson de fond. Là où nos opinions divergent, c’est que je pense que ces travailleurs et ces collectivités auraient été en meilleure posture si une mesure législative telle que le projet de loi C-50 avait été mise en place avant que la crise de la pêche ne frappe nos côtes.

Sénateurs, imaginez si le gouvernement de l’époque n’avait pas fait l’autruche face à la crise de la pêche qui s’en est suivie, mais qu’il avait, au contraire, pris les devants en s’attaquant aux réalités économiques et sociales auxquelles les travailleurs et les collectivités étaient sur le point d’être confrontés. Imaginez que le gouvernement ait mis en place un conseil tripartite, semblable au conseil du partenariat que le projet de loi C-50 propose de créer, qui l’aurait obligé à obtenir directement l’avis des pêcheurs, des travailleurs d’usine, des entreprises et des collectivités. Imaginez que le gouvernement ait été tenu d’élaborer un plan qui respecte les réalités vécues par ces groupes, et non les réalités perçues par les fonctionnaires à Ottawa. Imaginez que ces politiques aient été élaborées selon une approche ascendante et non descendante.

Chers collègues, je pense que nous pouvons imaginer cette réalité et que nous serions d’accord pour dire que les travailleurs, les entreprises et les collectivités dépendant de la pêche au poisson de fond dans le Canada atlantique auraient été avantagés, et non désavantagés, par l’adoption d’une mesure législative comme le projet de loi C-50.

Chers collègues, ce projet de loi est assez simple et direct dans son objectif et dans sa forme. Il vise à créer un cadre afin de déterminer les processus et les principes que suivra le gouvernement pour gérer une transition juste vers un avenir carboneutre. Il n’énumère pas les politiques et programmes qui seront mis en œuvre. Ceux-ci figureront plutôt dans le plan d’action pour des emplois durables que le gouvernement devra élaborer et rendre public tous les cinq ans aux termes de ce projet de loi, et ce, à partir de l’année prochaine.

Permettez-moi de prendre quelques instants pour expliquer le projet de loi plus en détail. Tout d’abord, il prévoit la création d’un conseil du partenariat pour des emplois durables. Comme l’indique clairement le projet de loi et à la suite d’une étude et d’une consultation approfondies, la composition du conseil repose sur une approche tripartite qui garantit un équilibre entre les représentants des groupes autochtones, des syndicats et de l’industrie. Le conseil serait tenu de tenir régulièrement des discussions significatives avec les Canadiens.

(2210)

Les membres du conseil combinent ce qu’ils entendent, aux données, aux travaux de recherche et à leur propre expertise pour conseiller le gouvernement fédéral sur les meilleures orientations à prendre relativement aux politiques et aux mesures à adopter.

Deuxièmement, le projet de loi obligerait le gouvernement à publier un plan d’action transparent pour des emplois durables d’ici 2025, puis tous les cinq ans, en faisant un compte rendu des progrès réalisés et en s’engageant à prendre des mesures supplémentaires. Pour assurer une meilleure transparence et une meilleure reddition de comptes, des rapports d’étape devront être produits sur chaque plan d’action deux ans et demi après sa publication.

Troisièmement, le projet de loi exigerait que le gouvernement désigne un ministre responsable de la mise en œuvre de la loi. Ce ministre serait appuyé par d’autres ministres chargés de responsabilités précises dans le cadre du projet de loi. En effet, cette initiative nécessite la participation des ministres responsables du développement économique ainsi que des politiques sociales. Ils doivent collaborer pour favoriser la croissance économique et soutenir les travailleurs et les collectivités. Au besoin, ils collaboreront avec d’autres ministres pour que toutes les facettes de la question soient prises en compte. Cette exigence découle d’une des recommandations qui figurent dans le rapport du Groupe de travail sur la transition équitable pour les collectivités et les travailleurs des centrales au charbon canadiennes. Cette recommandation part du principe qu’il n’y a pas de reddition de comptes sans un responsable désigné.

Enfin, le projet de loi prévoit aussi la création d’un secrétariat pour des emplois durables afin d’appuyer la mise en œuvre de la loi dans l’ensemble des entités fédérales, notamment en offrant un soutien pour les plans d’action et le conseil du partenariat, en mobilisant les provinces et les territoires et en servant de source de renseignements au sujet des programmes fédéraux, du financement fédéral et des services fédéraux aux travailleurs et aux employeurs.

Ensemble, ces éléments fondamentaux du projet de loi C-50 permettront aux travailleurs d’avoir leur voix au chapitre, tout comme l’industrie, les Autochtones et les experts sectoriels.

Les changements transformateurs de la nature du travail résultant non seulement des changements climatiques, mais aussi de l’intelligence artificielle et d’autres avancées technologiques, auront un effet profond sur les travailleurs. C’est une question de bon sens que le processus place les travailleurs au centre de l’élaboration d’un plan qui, d’abord, tient compte d’abord des difficultés auxquelles se heurtent les travailleurs et les communautés et qui, ensuite, développe des politiques réalistes pour atténuer les effets néfastes et, ce qui est tout aussi important, pour tirer parti des occasions que les nouvelles réalités du travail apporteront. C’est vraiment l’objet de la loi sur l’emploi durable.

Chers collègues, il s’agit d’une bonne mesure pour les travailleurs et leurs collectivités et c’est pourquoi le projet de loi doit être adopté.

Une fois qu’on a dépassé les aspects politiques de ce projet de loi, on réalise que les principales parties prenantes — les entreprises, les syndicats et les organisations autochtones et environnementales — l’appuient parce qu’il est nécessaire pour que les travailleurs et l’industrie puissent réussir dans un avenir carboneutre.

La présidente du Congrès du travail du Canada, qui représente plus de 3 millions de travailleurs, a déclaré :

Les travailleurs ont besoin que les choses bougent maintenant [...] Nous devons nous assurer que cette mesure législative est adoptée afin que toutes les parties — syndicats, entreprises et gouvernement — puissent s’asseoir à une table [...]

Patrick Campbell, le directeur canadien de l’Union internationale des opérateurs de machines lourdes, qui compte plus de 50 000 membres, a dit ce qui suit :

La Loi canadienne sur les emplois durables nous rapproche d’un avenir où les intérêts des travailleurs de l’énergie seront au cœur d’une économie sobre en carbone.

En plus des grands porte-parole nationaux, des organisations régionales ont aussi exprimé leur appui, y compris le président de la Fédération du travail de l’Alberta, qui demande aux gens d’aller au‑delà des discours tenus par les détracteurs et de lire le projet de loi. Il a dit :

Ce que les conservateurs disent [...] c’est que le projet de loi est un plan pour éliminer progressivement l’industrie du pétrole et du gaz [...] mais rien n’est plus loin de la vérité [...]

Il vit en Alberta. Il a ajouté ceci :

Le projet de loi C-50 vise à créer un cadre de discussion sur la diversification de notre économie afin que nous soyons prêts à faire la transition vers un avenir à faibles émissions de carbone. C’est une bonne mesure pour les travailleurs, les entrepreneurs et le pays.

C’est semblable à ce que le président du Business Council of Alberta a dit :

La loi sur les emplois durables représente une excellente occasion pour le Canada de façonner son avenir et de créer des emplois en fournissant les ressources dont la planète a besoin, y compris l’énergie, la nourriture et les minerais.

Les groupes de défense de l’environnement appuient également la mesure législative. Le directeur général de l’Institut Pembina a dit ce qui suit :

En réunissant les travailleurs et travailleuses, les entreprises, les peuples autochtones et les groupes environnementaux avec les gouvernements dans une action concertée, nous montrerons au monde que le Canada est prêt. L’adoption de la Loi sur les emplois durables et la mise à l’œuvre du nouveau Conseil du partenariat sur les emplois durables transmettra haut et fort le message suivant : le Canada est un excellent terrain d’investissement où la main-d’œuvre est incomparable et prête à accomplir la tâche.

Avant de conclure, chers collègues, je tiens à souligner que le projet de loi vise non seulement à atténuer les effets néfastes de la transition vers un avenir carboneutre, mais aussi à saisir les possibilités économiques que cet avenir nous réserve.

Pour réaliser un projet ou faire en sorte qu’une industrie demeure concurrentielle dans un monde en évolution, nous devons nous assurer que les investissements, les technologies, la réglementation et, bien sûr, la main-d’œuvre qualifiée sont bien coordonnés et prêts à agir. Si l’un de ces éléments n’est pas suffisamment disponible, il limitera arbitrairement la capacité du Canada à se développer et à devenir un chef de file alors que nous nous dirigeons vers le milieu du XXIe siècle.

En conclusion, honorables sénateurs, le projet de loi s’appuie sur les travaux du Groupe de travail sur la transition équitable pour les collectivités et les travailleurs des centrales au charbon canadiennes et sur plus de deux ans de discussions approfondies avec les travailleurs et l’industrie, de coopération poussée entre de nombreux ministères et de collaboration efficace avec l’industrie, les provinces, les territoires, les organismes autochtones, la société civile et les spécialistes de l’environnement et du travail.

Il ne fait aucun doute que les politiques de décarbonation que des gouvernements adoptent partout dans le monde afin de respecter l’Accord de Paris auront un effet sur certains travailleurs du secteur des ressources naturelles.

Ce projet de loi ne vise pas à restreindre le développement énergétique ou à imposer une réduction des émissions, comme certains détracteurs voudraient vous le faire croire. Bien qu’il soit lié aux politiques de carboneutralité qui ont une incidence sur les émissions, il n’en fait pas partie. Il en est plutôt la conséquence. Autrement dit, il est l’envers de la médaille. Il a pour but d’aider les collectivités et les travailleurs non seulement à atténuer les effets indésirables de la carboneutralité, mais aussi à tirer parti des possibilités qu’elle offre.

C’est une approche et un projet de loi que je suis fier de parrainer aujourd’hui parce qu’il vise fondamentalement à aider les travailleurs à avoir voix au chapitre quand il est question de choisir notre avenir collectif, qui nécessite la décarbonation de nos économies si nous voulons survivre.

C’est pourquoi je vous demande, chers collègues, d’appuyer cette mesure législative, de soutenir les travailleurs canadiens et les collectivités où ils vivent ainsi que de soutenir la prochaine génération dans l’édification d’un pays plus durable et plus prospère. Merci beaucoup.

L’honorable Andrew Cardozo : Le sénateur Yussuff accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Yussuff : Oui.

Le sénateur Cardozo : Je vous remercie. Comme vous l’avez mentionné, certaines personnes s’opposent au projet de loi, car elles craignent qu’il vise à éliminer progressivement le pétrole et le gaz. À la lumière de votre expérience avec le Groupe de travail sur la transition équitable pour les collectivités et les travailleurs des centrales au charbon canadiennes et avec les intervenants de l’industrie du charbon, croyez-vous que les emplois des travailleurs après la transition seront comparables aux emplois qu’ils occupent actuellement? Selon ce qui est souvent rapporté, quand des travailleurs sont mis à pied, ils doivent accepter des emplois qui ne sont pas comparables — soit ils gagnent un salaire bien inférieur, soit ils sont dans des domaines complètement différents. Pensez‑vous que les travailleurs de l’industrie pétrolière et gazière pourront transférer leurs compétences dans d’autres domaines avec le temps?

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie de votre question. Selon mon expérience, la transition des travailleurs du secteur du charbon est toujours en cours. Elle n’est pas encore terminée. La Saskatchewan, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick poursuivent le processus pour y arriver. Toutefois, dans certaines régions de l’Alberta qui ont éliminé progressivement la production d’électricité à partir du charbon, certains travailleurs ont pris leur retraite parce qu’ils y étaient admissibles. Certaines installations ont fait la transition du charbon au gaz naturel comme première étape dans le processus de décarbonation.

Les compétences de ces travailleurs sont évidemment très prisées. Si les travailleurs ont des compétences transférables, ils peuvent changer d’industrie. Il est possible que certains travailleurs aient besoin de mettre à jour leurs compétences pour changer d’emploi. Je vais citer le témoignage d’une personne du comté de Leduc qui a comparu dans le cadre de l’étude du projet de loi. Les gens du comté ont perdu un certain nombre de centrales au charbon et, bien sûr, la mine de charbon a dû fermer ses portes. En raison de la fermeture des centrales et de la mine de charbon, le comté a perdu quelque 400 travailleurs au cours de cette période. Cependant, les trois collectivités se sont réunies, ont créé 2 000 emplois et ont attiré de nouvelles industries pour les hommes et les femmes qui ont été touchés par la transition. Elles bâtissent un avenir encore plus prometteur et appuient la décarbonation de leurs collectivités.

(2220)

Les travailleurs sont naturellement ambivalents lorsqu’ils doivent changer d’emploi. Je suis un produit de cette réalité. J’ai travaillé dans l’industrie automobile. À une époque, nous devions souder physiquement chaque pièce de métal pour assembler une voiture. De nos jours, il n’y a plus d’humains qui soudent les voitures; tout est fait par la robotique. La robotisation a supprimé la partie sale et dangereuse du travail, car ces activités n’étaient pas bonnes pour la santé. Toutefois, les travailleurs ont pu mettre à jour leurs compétences pour accomplir d’autres tâches dans les usines automobiles et ils continuent à fabriquer des voitures aujourd’hui. Nous apprécions l’industrie automobile. Elle est encore très dynamique.

Oui, il y aura des changements qui affecteront les travailleurs de manière fondamentale. Si nous aidons les travailleurs à comprendre les changements à venir, si nous les préparons à ce qu’ils peuvent espérer pour l’avenir ou à la manière dont ils pourraient adapter leurs compétences ou aux emplois qui seront disponibles, je pense que nous pourrons atteindre un objectif qui contribuera à construire une économie et à donner confiance aux travailleurs dans leurs collectivités afin qu’ils aient un avenir meilleur.

Il ne s’agira pas toujours du même emploi. Il peut s’agir d’un poste différent. Il pourrait s’agir d’un emploi mieux rémunéré. Il faut s’efforcer de comprendre ce que l’avenir nous réserve et de commencer à s’y préparer.

Je pense que de nombreuses compétences au sein de l’industrie vont connaître une transition. Ces travailleurs sont hautement qualifiés. Ils entrevoient surtout un avenir meilleur, mais ils veulent que leurs employeurs, leur syndicat et le gouvernement en fassent partie.

Bon nombre de ces travailleurs veulent rester dans leur propre collectivité. Ils ne veulent pas faire leurs valises et partir. Ils reconnaissent l’importance de construire une collectivité où l’on pourra garder l’assiette fiscale, en créant de nouveaux emplois qui peuvent amener de nouvelles industries dans leur collectivité. Ce que fait le comté de Leduc en Alberta en est un exemple. Il pourrait y en avoir d’autres, similaires.

[Français]

L’honorable Diane Bellemare : Honorables sénateurs, je tiens à préciser, avant de prononcer ce discours, que nous nous trouvons sur les terres ancestrales non cédées du peuple algonquin anishinabe.

Chers collègues, la transition en vue d’assurer la carboneutralité de notre économie est urgente pour la planète, mais elle l’est également pour protéger le niveau de vie des Canadiens et des Canadiennes et pour renverser la tendance à la baisse de notre niveau de vie par habitant. C’est une façon de prospérer que de faire le virage vers la carboneutralité.

[Traduction]

L’objectif de ce projet de loi est toutefois très vaste et louable. Permettez-moi de citer l’article 3 du projet de loi, qui suit un long préambule :

La présente loi a pour objet, dans le cadre de la transition vers une économie carboneutre, de faciliter et de promouvoir la croissance économique, la création d’emplois durables et le soutien pour les travailleurs et les collectivités au Canada grâce à un cadre qui a pour but d’assurer la transparence, la responsabilité, la mobilisation et la prise de mesures par les entités fédérales concernées, notamment celles qui se consacrent, à l’échelle nationale et régionale, à des questions qui incluent le développement des compétences, le marché du travail, les droits fondamentaux au travail, le développement économique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Lorsque j’ai lu la première version de ce projet de loi en 2022, j’ai pensé qu’il s’agissait d’un grand comité sectoriel, dont l’objectif était le perfectionnement et le recyclage des employés du secteur pétrolier et gazier dans les provinces de l’Ouest. J’ai maintenant changé d’avis. Je le vois comme une initiative fédérale plus globale, ambitieuse et multisectorielle visant à remodeler de nombreux aspects de l’économie canadienne.

[Français]

Je pense que le sénateur Yussuff l’a fort bien souligné en disant qu’il s’agit de beaucoup plus qu’un comité sectoriel; c’est une action entreprise pour changer l’économie du Canada.

Cela étant dit, au-delà des principes et des objectifs généreux décrits dans le préambule de ce projet de loi, voici comment je décrirais concrètement le ou les problèmes auxquels s’attaque le projet de loi C-50.

Le problème est, avant tout, d’aider tous les Canadiens et Canadiennes, qu’ils ou elles soient autochtones, racisés, vivant avec un handicap ou appartenant à la communauté 2ELGBTQI+, ceux et celles qui devront changer d’emploi pour un autre qui est conforme aux objectifs de carboneutralité auxquels le Canada s’est engagé à l’échelle internationale, et ce, tout en respectant un ensemble de principes.

[Traduction]

Ce projet de loi vise principalement à aider les Canadiens à passer d’un emploi à forte émission de carbone à un emploi durable. Il porte sur l’amélioration des compétences, la requalification et la création d’emplois durables. Il ne porte pas seulement sur la formation, mais aussi sur la création d’emplois. Il est beaucoup plus complet que l’objectif principal de l’assurance-emploi, qui est de maintenir les revenus et de réintégrer les chômeurs dans un emploi rémunéré.

[Français]

La problématique du projet de loi C-50 va au-delà de l’insertion professionnelle des groupes vulnérables et des chômeurs. Par ailleurs, bien que ce projet de loi s’attarde aux transitions professionnelles liées aux changements climatiques, il ne pourra pas faire abstraction des transitions professionnelles causées par les changements technologiques et démographiques et des crises politiques internationales. Cette problématique, à mon avis, ne peut être traitée en silo, selon les responsabilités des provinces et du gouvernement fédéral.

[Traduction]

Permettez-moi de décrire brièvement les tâches à entreprendre. Tout d’abord, pour atteindre l’objectif du projet de loi C-50, les Canadiens doivent être disposés et prêts à suivre une formation. Les employeurs doivent encourager leurs employés à se former. Ensuite, les prestataires de formation doivent être prêts à offrir une formation adéquate sur le lieu de travail, dans des établissements ou ailleurs, et à certifier ces nouvelles compétences. Des revenus de remplacement adéquats pendant la formation doivent également être proposés afin de maintenir le niveau de vie de ceux qui suivent la formation. Les entreprises doivent investir dans les secteurs verts et créer de nouveaux emplois, que ce soit en agriculture, dans l’industrie manufacturière, dans l’exploitation minière ou ailleurs dans l’économie des services. Elles doivent obtenir le financement et tous les permis et autorisations nécessaires pour lancer des projets plus écologiques. Tout cela se fait au niveau local, municipal ou provincial.

Le 5 juin, lors de la réunion du Comité des affaires sociales, M. Rick Smith, du comté de Leduc, en Alberta, dont le sénateur Yussuff vient de parler, a expliqué comment sa collectivité a procédé à la transition de son économie locale du charbon vers l’agriculture et l’industrie manufacturière. Il a expliqué que cette réussite reposait sur des actions collectives au niveau local, avec la participation de la province qui a dû adapter les règlements pour délivrer les permis en temps voulu afin de créer des emplois.

[Français]

Bref, la transition vers des emplois visant la carboneutralité nécessite la participation de plusieurs acteurs locaux et régionaux qui devront travailler ensemble, en favorisant le dialogue social. Les témoignages entendus en comité l’ont montré très clairement.

Je vais donc voter en faveur de ce projet de loi, car c’est fondamental et il faut le faire, mais on peut également se questionner. Peut-on vraiment penser que les objectifs que l’on cherche à atteindre le seront dans le contexte du partage des responsabilités fédérales-provinciales? Quels sont les défis que le Conseil du partenariat pour des emplois durables et le Secrétariat pour des emplois durables devront relever? C’est l’objet de mes propos à venir.

À mon avis, les défis du projet de loi C-50 sont multiples. Dans les prochaines minutes, je m’attarderai à deux défis de taille. D’abord, le gouvernement fédéral n’a actuellement pas le contrôle sur le dispositif institutionnel nécessaire pour la mise en œuvre efficace d’un plan de transition. De plus, les sources actuelles de financement pour la mise en œuvre du plan sont actuellement insuffisantes.

(2230)

Il est clair que la mise en œuvre d’un plan de transition repose sur des institutions locales et provinciales. Elle repose sur des partenariats qui doivent être construits d’abord entre l’entreprise et sa main-d’œuvre, puis avec les institutions de formation locales et avec les agences de développement économique provinciales et fédérales. Le gouvernement fédéral n’a pas le dispositif institutionnel local approprié pour atteindre les objectifs visés sans conclure de solides partenariats avec les provinces. C’est souvent le défi des fédérations.

Le succès de la transition ne peut reposer sur l’élaboration d’un plan d’action fait à partir de données granulaires produites par des fonctionnaires fédéraux, aussi compétents ou compétentes que soient ces personnes. Le plan d’action ne peut venir d’en haut. Il doit être élaboré par les acteurs ou les partenaires concernés qui doivent également le mettre en œuvre. Ce principe est particulièrement important dans les sociétés libres et démocratiques.

À cet effet, dans une autre vie, quand j’étais présidente-directrice générale de la Société québécoise de développement de la main‑d’œuvre (SQDM), nous faisions des plans d’action régionaux pour l’intégration en emploi des personnes au chômage, parce que le taux de chômage était très élevé au Québec à cette époque. Ces plans se faisaient à l’échelle locale et régionale. Les employés des bureaux locaux et régionaux et les partenaires des tables régionales connaissaient la main-d’œuvre, les entreprises de leur région et leurs projets d’avenir. C’était utile de faire des plans. Penser global, mais agir local : c’était notre devise et c’est ce qui fonctionnait. Nous n’avions pas le choix, c’était sur le terrain que tout se passait.

Au Québec, la Commission des partenaires du marché du travail définissait les grands paramètres, mais c’est à l’échelle locale que se négociaient les interventions auprès des entreprises et des pourvoyeurs de services. Les partenariats se faisaient également avec les agences de développement économique locales et régionales.

À mon avis, le gouvernement fédéral ne peut contrôler les transitions des personnes qui œuvrent dans des entreprises situées en région et dans des municipalités à partir d’informations statistiques qui reflètent le passé dès qu’elles sont publiées et qui ne peuvent prendre en compte les intentions et les plans des entreprises qui se situent dans l’avenir. C’est d’ailleurs le constat du gouverneur de la Banque du Canada; il ne pouvait conduire sa politique monétaire avec les statistiques produites par les modèles, puisque ces derniers reflètent le passé et que l’avenir est de plus en plus incertain et changeant.

C’est plutôt par le biais des ententes relatives au marché du travail avec les provinces que le gouvernement fédéral peut favoriser les transitions sur le marché du travail, et ce, peu importe qu’elles soient technologiques, climatiques ou démographiques. On peut souhaiter que le dispositif mis en place dans le projet de loi soit mis à contribution dans l’établissement du renouvellement des ententes du marché du travail. Je pense qu’il y a là une clé et que le Conseil du partenariat et le secrétariat ne pourront pas passer à côté des ententes du marché du travail.

C’est pour cette raison que j’ai suggéré, à l’étape de la deuxième lecture, que les commissaires de l’assurance-emploi soient invités à participer à tout le moins à titre d’observateurs, car ce sont eux qui contrôlent les ententes du marché du travail. C’est vraiment une responsabilité de suivre le financement des ententes locales avec chacune des provinces.

J’aimerais maintenant passer aux problèmes financiers. Le défi financier de faire transitionner l’économie canadienne est majeur. Il n’est pas anodin. On peut se demander ceci : d’où viendra l’argent pour le financement du projet de loi C-50? Il y a eu un petit budget qui a été prévu dans le budget de la ministre des Finances, qui était d’environ 99 millions de dollars, mais ce budget ne pourra assurément pas couvrir les frais de la transition. Il faudra s’assurer d’avoir un budget.

Ce que le gouvernement dit à ceux et celles qui demandent comment il va financer la transition, c’est que le projet de loi C-50 sera financé par la partie II de la Loi sur l’assurance-emploi et par les revenus généraux qui sont aussi ciblés pour les groupes vulnérables. Tout cela sera mis à contribution dans le but de faire une transition importante. Le problème, et j’y reviens, c’est que les principaux bénéficiaires de l’assurance-emploi, peu importe que l’on parle de la partie I ou de la partie II, sont généralement les gens qui ont cotisé et qui ont perdu leur emploi. Ce ne sont pas des personnes employées dans des secteurs à forte émission de gaz à effet de serre et menacées de perdre leur emploi. L’assurance‑emploi aide les personnes en emploi seulement de manière exceptionnelle. Par ailleurs, le revenu maximum de remplacement de 668 $ par semaine en 2024 — en moyenne, c’est plutôt la moitié —, est de loin inférieur aux salaires payés dans des secteurs qui émettent des gaz à effet de serre, et il faudra donc que ces secteurs fassent une transition. Il y a beaucoup de choses à mettre au point et la réforme de l’assurance-emploi va devenir urgente si on veut faire une transition vers une économie plus verte.

Plusieurs participants à la cinquième Table ronde sur l’emploi et les compétences qui a eu lieu le 3 juin dernier et qui a été convoquée par les commissaires de l’assurance-emploi ont plaidé en faveur de la nécessité de réformer l’assurance-emploi afin que cet important programme reflète mieux les défis actuels associés aux transitions professionnelles, que l’on parle de crises climatiques, technologiques ou démographiques.

Actuellement, c’est la partie II de la Loi sur l’assurance-emploi, qui a été mise en place en 1994, qui finance les mesures de formation et d’intégration de la main-d’œuvre qui sont utilisées pour faire tout le travail. La Loi sur l’assurance-emploi, chers collègues, prévoit que les sommes destinées aux transitions peuvent atteindre jusqu’à 0,8 % de la masse salariale dans le PIB, mais on ne l’a jamais atteint. Les fonds de l’assurance-emploi ont peu augmenté depuis 1994. Ils ont augmenté quelque peu en 2017, quand le gouvernement fédéral a ajouté, toujours avec l’assurance‑emploi, 625 millions de dollars pour une entente de six ans qu’il ne veut désormais plus renouveler. Les fonds prévus pour l’assurance‑emploi totalisent actuellement 2,3 milliards de dollars, moins 625 millions de dollars qui seront retirés. Il y a également d’autres sommes qui proviennent des revenus généraux et qui sont de 600 millions de dollars environ. Tout cela est peu par rapport aux défis que l’on connaît et qui ont été soulignés à grands traits par l’OCDE.

À titre d’exemple, en 2019 et 2020, mon bureau a effectué un sondage qui a été réalisé par Nanos pour connaître les perceptions des Canadiennes et des Canadiens par rapport à leurs besoins de formation et à leur avenir. Dans ce sondage, nous avons obtenu des résultats comparables avant et après la pandémie, et ces résultats, qui convergent vers les résultats de l’OCDE, ont été publiés avant la pandémie pour l’ensemble des pays industrialisés et pour le Canada.

Dans le sondage que nous avons envoyé aux Canadiens en décembre 2023, 20 % des répondants qui avaient un emploi pensaient qu’il était probable ou plutôt probable que les changements technologiques et climatiques menacent leur emploi. Donc, 20 % des Canadiens pensaient que les changements climatiques, technologiques ou autres menaçaient leur emploi. Cela représente 4 millions de Canadiens, et ces données se comparent avec les chiffres un peu plus bas de l’OCDE, qui sont autour de 17 %. Trente-sept pour cent des Canadiens qui ont répondu au sondage et qui ont un emploi pensent qu’il est probable ou plutôt probable que les changements technologiques et climatiques affecteront leurs tâches de travail et qu’ils auront besoin de se former. Cela représente 8 millions de Canadiens. Les jeunes ont répondu à cette question avec un pourcentage encore plus élevé — et ils sortent de l’école.

(2240)

Le besoin de formation au Canada est fondamental et la transition pour les industries qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre va dans le même sens. Nous avons un effort de formation majeur à faire.

Ce sont les ententes de main-d’œuvre qui sont actuellement signées entre le gouvernement fédéral et les provinces qui financent ces programmes. Elles sont à durée déterminée et diffèrent d’une province à l’autre, mais elles associent généralement les partenaires du marché du travail.

Bref, aujourd’hui, l’assurance-emploi doit être réformée afin de mieux assurer le financement des transitions sur le marché du travail et d’assurer le financement de la formation aux personnes qui sont à risque de perdre leur emploi. Cette pratique doit devenir la norme et non l’exception, comme c’est le cas actuellement.

Il faut adopter le projet de loi C-50, c’est un objectif majeur, c’est une tâche à effectuer, mais il faut être bien conscients que ce projet de loi ne répond pas à toutes les questions et que les ententes avec les provinces seront incontournables pour bien faire ce travail.

Avant de conclure, j’aimerais ajouter quelques commentaires touchant les Premières Nations. Le Comité des affaires sociales a entendu des chefs issus des Premières Nations qui ne veulent pas que leurs communautés soient considérées comme l’un des groupes cibles et des groupes vulnérables. À cet effet, la cheffe Freddie Huppé Campbell a été on ne peut plus claire.

Chers collègues, il ne faut pas oublier que les personnes issues des Premières Nations habitent le territoire depuis des temps immémoriaux et qu’on leur doit le respect. La crise climatique a des impacts sur le développement économique et social pensé par et pour les Premières Nations. Leur présence au Conseil du partenariat pour des emplois durables est certainement indispensable. Toutefois, le gouvernement fédéral devrait songer à conclure avec elles des accords de délégations de pouvoirs bienveillants et qui visent des objectifs de résultats conçus avec eux dans des ententes bilatérales.

En conclusion, le projet de loi propose des intentions louables et nécessaires pour la survie de la planète et du Canada. Je partage ces objectifs et je vais voter pour ce projet de loi. Toutefois, la mise en œuvre du projet de loi C-50 pourrait créer des frictions avec certaines provinces, et ce, même si le gouvernement souhaite agir dans ses propres domaines de compétence et respecter les compétences des provinces. Le problème, c’est qu’il peut difficilement agir en silo. S’il souhaite vraiment accorder la priorité à la prospérité économique et au mieux-être de tous les Canadiens et Canadiennes, le gouvernement fédéral doit, à mon avis, miser sur la coopération et le dialogue social avec les acteurs économiques, comme le propose le projet de loi C-50, mais il ne doit pas oublier les provinces. Il en va de l’intérêt supérieur du Canada.

Merci. Meegwetch.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

L’honorable Denise Batters : Sénatrice Bellemare, je crois vous avoir entendue dire dans votre discours — mais j’écoutais l’interprétation, alors je ne suis pas entièrement certaine — que votre bureau a effectué un sondage d’opinion sur certains aspects de ce projet de loi, notamment la formation ou quelque chose du genre.

Pourrez-vous nous donner plus de détails là-dessus? Si ce sondage a été financé à même le budget de votre bureau de sénatrice, pourriez-vous nous dire combien il a coûté?

[Français]

La sénatrice Bellemare : Merci de votre question, sénatrice Batters.

[Traduction]

Le sondage a été effectué en décembre 2023, et il reprenait pratiquement les mêmes questions que le sondage que nous avions effectué en décembre 2019. Ces sondages ne portaient pas sur ce projet de loi ni sur aucun autre projet de loi. Ils portaient sur la perception que les Canadiens ont de leur emploi et de l’incidence de tous les changements. On demandait aux répondants si cela aurait une incidence sur leur emploi et s’ils craignaient de perdre leur emploi. Voilà le but principal de ce sondage.

Dans ce sondage, nous avons tenté de déterminer si les gens étaient disposés à suivre une formation et s’ils estimaient avoir besoin de formation. Les résultats ont été spectaculaires — la réponse était oui. Vous savez, tout le monde pense que les Canadiens ne veulent pas suivre de formations. C’est faux, car 50 % des Canadiens estiment avoir besoin de formation, et une proportion encore plus importante, 66 %, estiment avoir besoin d’améliorer leurs habiletés arithmétiques ou d’acquérir des compétences professionnelles. Voilà le genre de choses que nous avons tenté de déterminer, selon la province, l’âge et le sexe. Nous avons tenté d’obtenir plus de détails, mais les résultats ne sont pas concluants. Dans le premier sondage, nous avons tenté de savoir si les Canadiens seraient disposés à participer financièrement à un programme de formation, et les résultats obtenus étaient intéressants.

Si vous souhaitez en savoir plus, l’information se trouve sur mon site Web. Je pourrais vous communiquer les détails. Quoi qu’il en soit, le sondage ne se rapportait pas au projet de loi.

La sénatrice Batters : J’aimerais revenir sur le sondage de décembre 2019 — il semble que vous ayez réalisé un sondage à partir de votre bureau du Sénat — et sur celui de décembre 2023. Quel a été le coût de ces deux sondages?

La sénatrice Bellemare : Ils ont été approuvés par le Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration. Je crois que vous avez personnellement demandé de voir le premier sondage et toutes les questions. Ils ont été effectués par Nanos et le coût s’est chiffré à environ 10 000 $.

[Français]

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Gignac, vous avez une question?

L’honorable Clément Gignac : Comme vous le savez, le Québec est assez chatouilleux lorsqu’on parle de champs de compétence. La formation de la main-d’œuvre est, de toute évidence, de compétence provinciale. Le Québec a une empreinte carbone parmi les plus faibles. Pensez-vous qu’il faudrait que le gouvernement fédéral soit davantage ouvert à des dispositions de retrait avec pleine compensation? Ce projet de loi semble susciter un certain agacement chez le gouvernement du Québec par rapport au dédoublement des champs de compétence.

La sénatrice Bellemare : Merci de votre question, sénateur Gignac. Tout d’abord, à l’heure actuelle, comme l’a très bien expliqué le sénateur Yussuff, ce projet de loi est un cadre de référence. Ce n’est pas un projet de loi avec des programmes particuliers. Il vise à établir un dialogue social pour tenter de comprendre comment on ferait la transition à l’échelle locale.

Dans le cadre de ce projet de loi, il y a des partenariats qui se font avec Statistique Canada, entre autres, pour connaître les données granulaires et les valider sur le plan local. On verra après; il y aura vraisemblablement des plans d’action qui seront mis en œuvre.

C’est la raison de ma critique : la mise en œuvre de ces plans d’action peut créer des frictions avec certaines provinces. Cela ne peut pas se faire en silo. Les pourvoyeurs de services sont de compétence provinciale.

Il y a peut-être des provinces plus petites avec lesquelles le gouvernement fédéral pourra bien manœuvrer, mais ce ne sera pas le cas avec toutes les provinces. C’est pour cette raison qu’il sera très important qu’il y ait aussi un dialogue social avec les provinces dans le cadre de ce projet de loi.

Il faut commencer quelque part. La beauté de la chose, c’est qu’il y aura du démarchage qui sera fait localement et qu’il y aura probablement des conversations qui se tiendront avec les provinces.

Toutefois, la transition est un exercice obligé. On ne peut pas passer à côté. Il faut commencer quelque part. Cela donnera peut‑être de bons résultats. Cependant, il faut garder l’esprit ouvert et reconnaître aussi qu’il y a des provinces.

Je vous remercie.

(2250)

[Traduction]

L’honorable Rosa Galvez : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-50, la Loi canadienne sur les emplois durables. Il s’agit d’un projet de loi attendu depuis longtemps qui permettra au Canada de disposer d’un cadre. Nous en sommes au niveau du cadre. Nous n’en sommes pas encore à créer des emplois ni aux détails des négociations avec les provinces. Il s’agit d’un cadre destiné à préparer la main-d’œuvre aux emplois d’une économie carboneutre. La transition est déjà là, que nous le voulions ou non.

Le projet de loi prévoit l’établissement du conseil du partenariat pour des emplois durables chargé d’engager un dialogue avec les travailleurs, l’industrie et les autres gouvernements. Le projet de loi exige le dépôt d’un plan d’action pour des emplois durables tous les cinq ans. Il crée également un secrétariat pour des emplois durables afin d’appuyer la mise en œuvre de la loi. Il s’agit simplement d’un cadre permettant au gouvernement de rendre des comptes alors que nous aidons les travailleurs à se reconvertir dans les emplois durables d’aujourd’hui et de demain.

Il s’agit d’une question urgente, en particulier pour le Canada, car nous sommes en retard. En tant qu’économie fondée sur les ressources naturelles, nous disposons d’un énorme potentiel économique pour faire progresser l’économie carboneutre grâce à l’extraction de minéraux essentiels et à la production d’énergie renouvelable et d’une économie circulaire durable. Pourtant, à l’heure actuelle, nous continuons à accroître nos investissements déjà disproportionnés dans les combustibles fossiles, qui contribuent à la crise climatique à l’origine d’événements météorologiques extrêmes et destructeurs.

Il y a quelques années, nous avons adopté la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité pour atteindre nos objectifs climatiques, mais, à ce jour, nous n’avons toujours pas de plan pour aider les travailleurs à prospérer dans cette nouvelle économie que nous sommes en train de bâtir. Ce projet de loi nous met sur la bonne voie.

Il ne s’agit pas seulement d’atteindre les objectifs climatiques que nous nous sommes fixés. Ce projet de loi est essentiel pour assurer la prospérité continue de notre pays. Certains détracteurs du projet de loi se sont dits inquiets du fait qu’il s’agit d’un stratagème visant à éliminer l’industrie des combustibles fossiles au Canada. Rien ne pourrait être plus faux. Ce n’est pas un gouvernement donné qui opère ce changement — et encore moins le gouvernement actuel, qui nous a acheté un oléoduc et qui continue d’accorder chaque année des milliards de dollars de subventions au secteur pétrolier et gazier, secteur qui affiche aujourd’hui des bénéfices records. En fait, ce sont les changements technologiques, la perturbation des marchés traditionnels et l’augmentation des coûts liés aux changements climatiques et à la nature — en raison des phénomènes météorologiques extrêmes — qui sont à l’origine de cette transition. Nous sommes en retard par rapport à nos pairs et à nos partenaires commerciaux. Nous devons rattraper notre retard.

Permettez-moi de vous expliquer : par rapport aux technologies des énergies renouvelables, un système énergétique axé sur les combustibles fossiles est extrêmement inefficace. Quand nous procédons à l’extraction des ressources énergétiques, mais que nous les raffinons ailleurs en Amérique du Nord plutôt qu’au Canada, et que nous assurons le transport de ces ressources précieuses, elles perdent presque les deux tiers de leur énergie potentielle initiale en cours de route, notamment sur le plan de la génération, de la transmission et de la livraison d’électricité. En effet, les énergies renouvelables sont deux à trois fois plus efficaces pour la génération d’électricité, une fois et demie plus efficaces pour la livraison d’électricité, trois à quatre fois plus efficaces pour le chauffage et deux à quatre fois plus efficaces que les véhicules équipés de moteurs à combustion. À ce stade, chers collègues, il doit vous sembler évident qu’une économie fondée sur les combustibles fossiles provoque une inflation à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement.

Nous avons déjà vu des révolutions industrielles. Nous devons adopter des technologies plus efficaces, plus propres, moins chères et plus sûres. Nous l’avons fait par le passé. Résister n’est pas un choix intelligent. Chers collègues, dois-je rappeler l’évidence? La civilisation n’est pas sortie de l’âge de la pierre en raison d’un manque de pierres, mais bien parce qu’elle avait gagné en efficacité. Le Canada est en retard sur ses pairs en termes de productivité et de compétitivité. Ce n’est pas auprès des défenseurs des technologies polluantes du passé que nous entendrons la solution à ce problème. Nous devons écouter les experts. Nous devons écouter les scientifiques.

L’Agence internationale de l’énergie a récemment publié son rapport annuel sur le pétrole et le gaz. Elle a prédit que le monde verra un excédent sans précédent de capacité d’approvisionnement à l’échelle mondiale, dépassant la croissance de la demande de 8 millions de barils par jour d’ici 2030. Selon les prévisions, la demande mondiale de pétrole devrait plafonner d’ici 2030, même en Chine, ce qui marquera le début d’une période où les prix seront plus bas. Selon l’Institut canadien de recherche énergétique, le secteur des combustibles fossiles du Canada fait piètre figure dans un scénario de marché où les prix sont bas — et je vous mets au défi de vous remémorer la dernière fois que le baril de pétrole coûtait 100 $ —, ce qui conduira à une baisse de l’emploi et de la rémunération des employés, des profits et des recettes fiscales.

[Français]

Chers collègues, qu’on le veuille ou non, notre secteur des combustibles fossiles ne portera pas notre économie au cours des prochaines décennies. Si nous essayons activement de maintenir le Canada dans l’économie du passé et d’empêcher le pays de passer aux énergies renouvelables, on se souviendra de nous comme de la génération de parlementaires qui avons fermé la porte aux énormes possibilités économiques qui découleront de la transition énergétique mondiale.

Nous avons besoin d’un cadre législatif pour nous équiper d’une main-d’œuvre capable de faire du Canada un leader mondial en énergie propre. Cela étant dit, le projet de loi proposé par le gouvernement est une première étape en vue d’assurer la transition des travailleurs.

[Traduction]

Soit dit en passant, en tant qu’ingénieure civile spécialisée dans le domaine de l’environnement, j’ai enseigné à des ingénieurs ces 20 dernières années que nous étions dans la période de transition. Cependant, nous n’y étions pas. Qu’est-il advenu de tous ces formidables ingénieurs que nous avons formés pour la transition? Ils sont allés ailleurs. J’ai entendu mon collègue parler de la formation de techniciens et d’ingénieurs. Nous en avons formé, mais, malheureusement, ils sont partis parce qu’il n’y avait pas d’emplois durables.

[Français]

Au cours de l’étude au comité de l’autre endroit, les députés ont apporté des changements importants au projet de loi, notamment l’inclusion d’une définition du terme « emplois durables », qui est un ajout important qui assurera que ces derniers soient, effectivement, des emplois qui contribueront à la transition énergétique.

Les députés ont également précisé la composition du Conseil du partenariat, assurant ainsi la représentation des syndicats, de l’industrie, d’un organisme environnemental et des peuples autochtones. Ceux-ci auront également la tâche de conseiller le ministre responsable sur des domaines de coopération avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et avec d’autres gouvernements au Canada. Ces ajouts sont importants pour reconnaître le rôle des provinces et des territoires dans le domaine de la main-d’œuvre. Je suis tout à fait d’accord avec ma collègue la sénatrice Bellemare pour dire que tout ce beau plan ne réussira pas sans l’intervention des provinces, mais surtout celle des municipalités. Toutefois, il y aura d’autres défis qu’il faudra relever.

Lors de notre propre étude au Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, nous avons entendu d’importantes préoccupations et avons soumis plusieurs observations. Tout d’abord, tous les ordres de gouvernement doivent écouter attentivement les communautés touchées par la transition, en particulier celles qui le sont le plus durement, afin d’adapter leurs programmes et leurs investissements aux priorités de ces communautés, que ce soit en matière d’éducation, de développement des compétences ou pour d’autres besoins.

(2300)

Dans cette période de transition, il est important que nous aidions toutes les communautés à s’épanouir et à prospérer. Plus particulièrement, le comité encourage l’éventuel Conseil du partenariat à concentrer ses travaux sur le soutien aux peuples autochtones ainsi qu’aux communautés rurales et éloignées, afin qu’elles puissent tirer parti de la transition vers l’énergie propre.

Il est important de noter également que plusieurs membres du comité ont soulevé l’importance de s’engager auprès des travailleurs non syndiqués, ce que le projet de loi n’aborde pas explicitement. En 2019, Statistique Canada confirmait que plus de 70 % des employés canadiens ne sont pas syndiqués.

Il serait donc déraisonnable d’ignorer les besoins d’une si grande proportion de la main-d’œuvre au Canada.

[Traduction]

Chers collègues, le projet de loi C-50 a reçu un large soutien de la part de travailleurs aux quatre coins du pays, y compris de régions qui ont fortement investi dans les combustibles fossiles. En fin de compte, les travailleurs veulent de bons emplois durables qui leur permettent de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Le marché mondial de l’énergie évolue en même temps que les emplois dans le secteur de l’énergie. Nous devons le reconnaître et mettre en place un plan pour mobiliser la main-d’œuvre extrêmement qualifiée du Canada pour qu’elle occupe les emplois qui nous mèneront jusqu’en 2050 et au-delà.

J’aimerais conclure sur ce point : le projet de loi C-50 n’est qu’un élément, bien que nécessaire, de la transition vers une économie carboneutre. Comme nous le savons, nous devons prendre toute une série de mesures si nous voulons réussir dans le contexte concurrentiel mondial. Les économistes préconisent la tarification de la pollution. La grande majorité des Canadiens s’attendent à ce qu’on applique le droit à un environnement sain. Le plan de lutte contre les changements climatiques du Canada présente encore des lacunes majeures. Il faut que le secteur financier intensifie ses efforts pour concrétiser les changements nécessaires.

Bien qu’il soit essentiel de former une main-d’œuvre qualifiée, nous devons également faciliter les investissements dans le secteur des énergies propres et renouvelables si nous voulons créer un secteur solide qui offrira aux travailleurs des emplois stables et bien rémunérés. Il nous faut une taxonomie pour informer les investisseurs des projets souhaités, ce que plus de 40 pays et régions ont déjà fait — là encore, nous sommes en retard — y compris l’Union européenne, la Chine, le Mexique, la Russie et les pays de l’ANASE. Nous avons également besoin de lignes directrices plus strictes pour le secteur financier, ce que j’ai proposé et que de nombreux pays et experts du monde entier souhaitent également. Ce n’est que lorsque le secteur financier sera aligné sur nos engagements en matière de climat que les autres secteurs — l’énergie, la construction, le bâtiment, les transports, les infrastructures, la santé — créeront les emplois durables dont il est question dans le projet de loi C-50.

Ce n’est qu’en intégrant tous ces éléments dans une démarche globale visant la carboneutralité et en travaillant ensemble à la réalisation de cet objectif commun que nous atteindrons nos cibles climatiques tout en continuant de prospérer.

Chers collègues, je vous exhorte à appuyer le projet de loi C-50 afin que la main-d’œuvre canadienne soit mieux positionnée aujourd’hui et dans les générations à venir. Merci, meegwetch.

Des voix : Bravo!

L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-50, Loi concernant la responsabilité, la transparence et la mobilisation à l’appui de la création d’emplois durables pour les travailleurs et de la croissance économique dans une économie carboneutre, et je vous parle ce soir en tant qu’Albertaine. L’Alberta possède 97 % des ressources pétrolières du Canada. Plus de 20 % du produit intérieur brut de notre province est lié à notre industrie pétrolière et gazière, et notre secteur de l’énergie emploie plus de 150 000 travailleurs.

La transition vers une autre base économique ne sera ni facile ni indolore, mais la plupart des Albertains savent et comprennent qu’une telle transition sera nécessaire pour des motifs environnementaux, économiques et sociaux. Les jeunes Albertains, en particulier, savent que l’industrie de l’énergie qui employait leurs parents et leurs grands-parents aura un tout autre aspect en 2050.

Les Albertains ont déjà pris des décisions difficiles et courageuses dans le but de remodeler leur économie de l’énergie, qui emploie tellement de personnes et offre de si bons salaires. Permettez-moi de souligner la manière audacieuse, courageuse et difficile dont l’Alberta a fait la transition de la production d’électricité à partir du charbon vers une production plus propre, plus verte.

Au début du siècle, 80 % de l’électricité de l’Alberta provenait de la combustion du charbon. Le charbon albertain était peu coûteux et abondant, et avait la réputation d’être plus propre, moins acide et moins dommageable pour l’environnement que d’autres charbons.

Toutefois, en 2015, quand Rachel Notley est devenue première ministre de la province, elle a fait un choix avant-gardiste — certains l’ont qualifié de donquichottesque — pour accélérer le passage de l’Alberta à d’autres formes de production d’électricité. Ce fut difficile. De nombreux travailleurs de l’industrie du charbon ont perdu leur emploi. En outre, on pourrait soutenir que cette politique est en grande partie responsable du fait que Rachel Notley a également perdu son poste de première ministre de la province.

Personne ne devrait minimiser le sacrifice consenti par les familles de travailleurs albertains, ni le coût politique pour le gouvernement néo-démocrate, qui n’a accompli qu’un seul mandat. Toutefois, regardez les résultats : au début de 2024, seulement 6 % de l’électricité de l’Alberta étaient produites à partir de la combustion du charbon, contre 80 % en 2001. De plus, je suis heureuse et fière de dire qu’hier soir, dimanche, à 22 h 57, heure avancée des Rocheuses, la dernière centrale au charbon de l’Alberta, Genesee 2, a été mise hors service. À partir d’aujourd’hui, il n’y a plus d’électricité produite à partir du charbon en Alberta.

Permettez-moi de mettre en contexte ces deux dernières centrales au charbon, Genesee 1 et 2. Elles sont exploitées par Capital Power, et le passage du charbon au gaz naturel produira plus de 1 350 mégawatts d’électricité de base fiable, tout en réduisant les émissions de CO2 de 3,4 millions de tonnes par rapport à 2019. C’est donc dire qu’on réduit les émissions de gaz à effet de serre de 60 % tout en augmentant la puissance installée de 40 %. Un autre avantage selon Capital Power, c’est que la grande efficacité des nouvelles unités permettra de retrancher un autre million de tonnes d’émissions. Et tout cela s’est fait six ans et demi plus tôt que prévu.

Il est donc clair que l’Alberta et les Albertains peuvent réussir une transition de ce genre quand ils s’y emploient. Nous savons qu’il nous reste du travail à faire, surtout du côté des énergies renouvelables, qui représentent maintenant 30 % du réseau électrique de l’Alberta.

Selon l’Association canadienne de l’énergie renouvelable, 98 % de la croissance de l’énergie éolienne et solaire au Canada en 2022 a eu lieu dans l’Ouest canadien; en un an, l’Alberta a alors ajouté près de 1 400 mégawatts de puissance installée. L’an dernier seulement, le secteur de l’énergie renouvelable de l’Alberta a compté pour 92 % de la croissance des énergies renouvelables et de la capacité de stockage au Canada. Selon l’Institut Pembina, ce résultat de l’Alberta est fondé sur 118 projets d’énergie renouvelable qui représentent 33 milliards de dollars d’investissements. C’est donc dire que, selon l’Institut Pembina, les projets d’énergie verte à divers stades de développement représentaient 24 000 années d’emploi.

Je dois reconnaître que les restrictions aussi absurdes que draconiennes que le gouvernement de Danielle Smith a imposées récemment à l’égard des investissements dans l’énergie éolienne et solaire en Alberta posent problème, mais, malgré cela, les marchés financiers nous indiquent que l’énergie éolienne et l’énergie solaire ont un rôle énorme à jouer dans l’avenir énergétique de l’Alberta et du Canada, ce qui veut dire que ces secteurs offrent non seulement des sources d’énergie durables, mais aussi des emplois durables.

Cependant, il y a un nouveau joueur important en Alberta, et je ne parle pas d’un joueur des Oilers, même si l’équipe joue très bien. Je parle plutôt du secteur de l’hydrogène. Je n’invente rien. Il y a déjà des projets en cours en Alberta pour remplacer le diésel par l’hydrogène pour alimenter les autobus, les trains et l’équipement lourd, ainsi que pour transformer les centrales au gaz naturel en centrales à l’hydrogène, pour chauffer de nouveaux quartiers à l’hydrogène, et pour utiliser l’hydrogène dans toutes sortes de procédés industriels. Amorcer une véritable transition vers l’hydrogène vert et l’hydrogène bleu présente un énorme potentiel sur le plan économique et en matière d’emploi, ainsi que sur le plan des gains environnementaux.

Par ailleurs, le secteur de l’énergie n’est pas le seul à pouvoir offrir des emplois durables en Alberta. L’Alberta et la Saskatchewan sont tout à fait en mesure de devenir de grandes puissances dans la production agroalimentaire afin de pouvoir non seulement exporter leur moutarde, leurs lentilles et leur blé dur, mais aussi transformer leurs cultures en produits à valeur ajoutée de manière à créer de nouveaux marchés nationaux et internationaux pour des aliments transformés à partir de diverses cultures comme la camerise ou la graine de lupin.

Il y a ensuite la possibilité passionnante de convertir les sables bitumineux de l’Alberta. Au lieu de brûler ce bitume comme carburant, supposons que nous l’utilisions pour créer des fibres de carbone solides et légères qui seraient utilisées pour fabriquer toutes sortes de choses, allant des avions aux pièces automobiles, en passant par les équipements sportifs et les vêtements de protection. Avec la bonne combinaison d’investissements publics et privés, nous pourrions être en mesure de transformer nos réserves de bitume en un secteur manufacturier, un tout nouveau type de moteur économique durable.

La transition des transports offre également des emplois durables. L’Alberta cherche activement des plans pour créer un réseau ferroviaire qui relierait Calgary à Banff et un plan encore plus ambitieux de réseau ferroviaire à grande vitesse qui relierait Edmonton à Calgary.

(2310)

Ces projets sont restés des chimères pendant des années. Cependant, comme notre population augmente et la pression sociale et commerciale en faveur de l’abandon des transports à forte intensité carbonique s’accroît, le moment est peut-être enfin venu de commencer à agir pour faire de ces rêves une réalité, en créant des emplois dans le secteur de la construction ferroviaire à une échelle que nous n’avons pas connue depuis la pose du dernier crampon et en créant des infrastructures pour les transports à faible intensité carbonique qui pourraient réduire radicalement le nombre de voitures sur les autoroutes de l’Alberta et le nombre d’avions qui volent entre Edmonton et Calgary.

La transition vers une économie plus sobre en carbone, offrant des emplois durables bien rémunérés pour tous les types de travailleurs est donc loin d’être impossible. Elle n’est certainement pas plus impossible qu’une victoire de huit à un contre les Panthers de la Floride.

C’est l’avenir que l’Alberta et le Canada doivent embrasser et je crois que les Albertains ont le courage et la volonté de faire cette transition, mais j’ai du mal à voir comment le projet de loi C-50 y contribue.

Le projet de loi C-50 ne prévoit pas un investissement plus important dans la recherche et le développement. Il ne prévoit pas un sou pour le recyclage professionnel ni l’éducation postsecondaire. Il n’investit pas dans les technologies propres, l’agroalimentaire ou les infrastructures de transport. Il ne fait rien pour encourager l’investissement et n’offre aux marchés des capitaux aucune assurance tangible que nous sommes vraiment sérieux cette fois-ci, enfin, au sujet de l’atteinte de nos objectifs en matière de changements climatiques. Et il ne fait rien pour rassembler les Canadiens dans un but commun, celui de lutter pour notre avenir.

Le projet de loi établit plutôt un cadre pour la création d’un conseil chargé d’organiser un dialogue social afin de permettre à un secrétariat de créer un plan d’action, le tout soumis à un examen décennal. Le projet de loi C-50 créera-t-il des emplois? Eh bien, il créera certainement des emplois pour les 15 membres du Conseil du partenariat pour des emplois durables, et qui sait combien d’emplois de plus pour les membres du Secrétariat pour des emplois durables.

Je crains que ce ne soit là un exemple de projet de loi gouvernemental qui suscite le plus de cynisme. À une époque où nous avons désespérément besoin de lutter contre les gaz à effet de serre, le projet de loi C-50 n’est guère plus que du vent. Comme on dit en Alberta : « Ça manque de viande. »

Ce projet de loi ne fait rien pour rassurer les Canadiens de l’Ouest qui sont inquiets de leur avenir économique, à juste raison. Ces mesures législatives ne feront rien pour qu’ils se sentent inclus et entendus ou encore que leurs espoirs et leurs rêves soient soutenus. Au lieu de cela, je crains fortement qu’ils considèrent qu’il s’agit d’une provocation, voire d’une insulte. Ce projet de loi viendrait alimenter le feu réactionnaire des séparatistes dans ma province, qui sont très heureux de monter les Albertains contre leurs concitoyens du reste du Canada.

Mes amis, le temps des cadres, des conseils, des plans d’action et des rapports sur les progrès réalisés en 10 ans est révolu. Il est temps d’agir. Si nous voulons une transition économique qui ne laisse pas les travailleurs à eux-mêmes, nous devons investir dans la recherche-développement dès maintenant, pas dans 10 ans. Maintenant.

Si nous voulons une transition économique qui ne laisse pas tomber les travailleurs, il faut dire aux marchés des capitaux que nous sommes sérieux, qu’investir au Canada et en Alberta est sûr et futé, que nous n’allons pas leur couper l’herbe sous le pied en changeant soudainement de politique et en les laissant en plan. Il faut investir dans les collèges, les instituts techniques et les universités afin que les travailleurs soient prêts à occuper les emplois de demain. Il faut investir dans des infrastructures vertes, des usines d’hydrogène jusqu’aux lignes ferroviaires pour le transport de passagers. Il faut des incitatifs fiscaux et de politiques fiscales qui récompensent l’innovation et l’entrepreneuriat écologique. Enfin et surtout, il faut que les gouvernements fédéral et provinciaux travaillent ensemble, et non les uns contre les autres, pour le bien de tous les Canadiens.

Merci. Hiy hiy.

Des voix : Bravo!

L’honorable David M. Wells : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture en tant que porte-parole responsable du projet de loi C-50, Loi concernant la responsabilité, la transparence et la mobilisation à l’appui de la création d’emplois durables pour les travailleurs et de la croissance économique dans une économie carboneutre. Le titre abrégé est « Loi canadienne sur les emplois durables », mais de nombreux témoins du Comité de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, en particulier ceux du mouvement environnemental, ont qualifié le projet de loi de « Loi sur la transition équitable ». En fait, le parrain du projet de loi, le sénateur Yussuff, y a fait référence quatre fois dans son discours il y a peu. C’était le nom du projet de loi avant que celui-ci ne suscite un tollé et que le gouvernement en change le titre — pas le contenu, chers collègues; seulement le titre. N’oubliez pas que ce projet de loi n’est pas parrainé par le ministre du Travail. Il est parrainé par le ministre des Ressources naturelles.

Tout d’abord, je tiens à remercier mes collègues du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles et du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, de la science et de la technologie pour leur étude du projet de loi.

Au Comité de l’énergie, il y a deux semaines, nous avons entendu le ministre du Travail, Seamus O’Regan. Durant son témoignage, le ministre a essayé d’éviter de parler de ce qui se trouve vraiment dans la mesure législative. Plus précisément, je l’ai interrogé sur les éléments du projet de loi C-50 relatifs à la formation et la formation d’appoint. Le ministre m’a coupé la parole à plusieurs reprises jusqu’à ce que notre collègue, la sénatrice McCallum, intervienne pour lui rappeler l’importance du décorum dans les comités sénatoriaux. La présidence a donné des instructions au témoin en conséquence, et je tiens à remercier la sénatrice McCallum et la sénatrice Verner, qui occupait le fauteuil, de m’avoir permis de repartir à zéro.

Après plusieurs tentatives pour poser ma question sur la formation et la formation d’appoint, qui constituent l’essence du projet de loi, le ministre a soutenu que le projet de loi ne mentionnait pas du tout la formation. Voici ce qu’a dit le ministre O’Regan :

J’examine le projet de loi C -50. Il n’est pas question de formation, ni d’une table où les travailleurs peuvent s’exprimer. Il n’y a aucune mention de formation.

Chers collègues, le mot « formation » apparaît 6 fois dans le projet de loi et 78 fois dans la note d’information préparée par les fonctionnaires de Ressources naturelles Canada à l’intention du ministre.

Une voix : Il ne les lit pas.

Le sénateur Wells : Peu importe la façon dont ils ont rebaptisé le projet de loi, l’essence de celui-ci demeure. Cependant, le ministre du Travail, qui représente Terre-Neuve-et-Labrador, a évité de discuter de l’objectif du projet de loi, soit la seule raison pour laquelle il a été invité à témoigner au comité.

En réalité, ce projet de loi vise à mettre en place un programme de formation et de recyclage des travailleurs de l’industrie pétrolière et gazière, au détriment des emplois durables et bien rémunérés actuels. En outre, chers collègues, le ministre O’Regan a été contredit par son collègue, l’honorable Jonathan Wilkinson, ministre des Ressources naturelles, qui a comparu devant le Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie et qui a ouvertement parlé de l’objectif du projet de loi en déclarant qu’il s’agissait de former et de recycler les travailleurs du secteur pétrolier et gazier pendant la période de transition vers des secteurs énergétiques à plus faible émission de gaz à effet de serre.

Les fonctionnaires de Ressources naturelles Canada eux-mêmes ont ensuite contredit l’affirmation du ministre O’Regan selon laquelle le projet de loi C-50 ne concerne pas la formation, et je cite à nouveau :

Je n’aime pas contredire un ministre, mais il est question de formation dans ce projet de loi. Je vous renvoie à l’énoncé de l’objet du projet de loi. L’objectif est triple. Il s’agit de promouvoir un développement économique à faibles émissions de carbone, de promouvoir le perfectionnement des travailleurs et de soutenir les collectivités et les travailleurs qui sont touchés par la transition.

Le fait que le ministre des Ressources naturelles et un fonctionnaire de Ressources naturelles Canada contredisent le ministre du Travail soulève des questions et des incertitudes pour moi, mais confirme également les préoccupations exprimées par les divers témoins que nous avons entendus en comité.

Tant l’Indigenous Resource Network qu’Électricité Canada ont fourni d’autres témoignages préoccupants lors de la séance du 4 juin du Comité de l’énergie. La déclaration préliminaire de John Desjarlais, le représentant de l’Indigenous Resource Network, est claire. Je le cite :

Nous suivons les initiatives du gouvernement en matière de transition équitable ou d’emplois durables depuis qu’elles ont été annoncées. En toute honnêteté, nos membres ont exprimé des doutes et des inquiétudes. On a l’impression que le gouvernement fédéral n’est pas du même côté que ceux qui travaillent dans le secteur pétrolier et gazier en particulier. Les travailleurs et les entreprises autochtones du secteur pétrolier et gazier se sentent souvent vilipendés, même s’ils fournissent un service et un produit importants dont tout le monde dépend au bout du compte.

Chers collègues, de nombreux points sont à retenir dans la déclaration de M. Desjarlais. Le fait que des travailleurs canadiens s’inquiètent et redoutent l’action du gouvernement est préoccupant. En fait, cela ne devrait pas se produire. Aucun Canadien ne devrait s’en aller au travail le matin en se demandant avec inquiétude s’il aura un emploi demain, le mois prochain ou l’année prochaine, surtout s’il y a une politique organisée et soutenue de son gouvernement en ce sens. Les Canadiens doivent savoir que tous les ordres de gouvernement appuient leur industrie, appuient leur travail et cessent de donner une image déformée d’un secteur qui fait littéralement tourner l’économie.

M. Desjarlais a également parlé de la parité, ou de la quasi-parité, des travailleurs autochtones grâce aux partenariats avec l’industrie pétrolière et gazière. L’écart salarial s’est refermé grâce à de nombreux partenariats qui donnent des moyens d’agir aux communautés, aux entreprises et aux travailleurs autochtones. En fait, en 2021, les travailleurs autochtones de l’industrie pétrolière et gazière en amont ont touché un salaire hebdomadaire moyen supérieur de 2,2 % à celui du travailleur canadien moyen du secteur pétrolier et gazier. Selon Statistique Canada, le secteur pétrolier et gazier offre les salaires les plus élevés au Canada pour les travailleurs autochtones — trois fois plus que la moyenne —, soit 140 000 $ par an. C’est ce qui soutient leurs communautés et leur croissance tout en donnant, et ce n’est pas un hasard, un sens à la réconciliation.

(2320)

Or, dès que cette parité a été atteinte, le gouvernement a mis en place des mesures pour la faire disparaître, ce qui inquiète réellement les communautés autochtones, comme l’a souligné M. Desjarlais :

Les travailleurs craignent de plus en plus qu’on les invite à faire la transition peu après avoir obtenu la parité salariale et commencé à participer aux résultats des entreprises, ce qui les obligerait à recommencer une transition, voire tout le processus. Dans beaucoup d’entreprises qui réussissent dans l’industrie, de gros efforts ont été investis. Plusieurs d’entre elles se demandent pourquoi elles doivent recommencer à se positionner et à se réorienter alors qu’elles se portent bien et qu’elles procurent des moyens de subsistance aux travailleurs. Nos collectivités sont très actives dans l’industrie, et il y a donc beaucoup d’inquiétudes.

Chers collègues, ces préoccupations sont sérieuses, et il faut y répondre.

Francis Bradley, président-directeur général d’Électricité Canada, a également parlé de l’une des conséquences potentielles de la transition équitable : l’augmentation du prix de l’électricité.

Bien qu’il soit difficile de chiffrer le coût du projet de loi C-50, le témoignage de M. Bradley nous rappelle qui paiera pour la transition équitable. Chers collègues, c’est nous tous qui devrons payer.

Comme pour la taxe sur le carbone, toutes les activités quotidiennes des Canadiens seront touchées et deviendront plus coûteuses. Comme l’a souligné M. Bradley au comité, le Canada devra doubler la taille de son réseau électrique pour suivre le rythme de l’électrification et de la décarbonation dans tous les secteurs, ce qui entraîne des dépenses. Comme la population canadienne est en croissance, passer à l’électricité pour assurer nos transports et notre confort ne sera pas bon marché.

Le Comité de l’énergie a également pris connaissance des réserves exprimées au sujet de l’incidence du projet de loi sur la capacité concurrentielle. Le projet de loi rendra le Canada moins attrayant pour les investisseurs, ceux-là mêmes qui financeraient la création d’emplois durables. Je suis d’accord avec la sénatrice Galvez, qui a déclaré au comité qu’il faut d’abord créer des emplois. Pour créer ces emplois, il faut des investissements du secteur privé. Malheureusement, le projet de loi C-50 ne prévoit rien sur le plan de la concurrence. Shannon Joseph, présidente d’Energy for a Secure Future, a déclaré ceci dans ses observations préliminaires :

Afin d’atteindre les objectifs exprimés dans le projet de loi, les entreprises doivent d’abord décider de dépenser leur argent au Canada afin de moderniser leurs installations et d’investir dans l’innovation. Elles n’agiront de la sorte que si elles peuvent répondre de manière satisfaisante aux questions suivantes : allons-nous pouvoir récupérer l’argent dépensé et réaliser des profits? Combien nous faudra-t-il de temps pour y parvenir?

Par conséquent, ce projet de loi doit accorder la priorité aux mesures contribuant à attirer des investissements au Canada, car c’est de là que proviennent les emplois durables.

Notre réglementation est-elle efficace? L’énergie est-elle abordable au Canada? Comment cela changera-t-il au fil des ans afin que le Canada demeure un endroit propice aux secteurs de l’exploitation des ressources naturelles, manufacturier et agricole, entre autres?

Vous m’avez entendu dire la même chose lors de mon discours à l’étape de la deuxième lecture. Le gouvernement dit qu’il souhaite tirer parti des débouchés liés à la transition vers la carboneutralité d’ici 2050. Il est toutefois essentiel que nous connaissions la nature de ces débouchés et où ils se matérialiseront.

Des emplois doivent attendre les travailleurs à la fin de leur formation, et ce, au bon moment et au bon endroit. Comme bon nombre des emplois dans le secteur pétrolier et gazier sont situés à l’extérieur des grands centres urbains, cela pourrait bien entraîner la migration de Canadiens loin des collectivités rurales du Canada atlantique et de l’Ouest canadien.

Vous vous souvenez peut-être, chers collègues, le processus accéléré d’élimination du charbon qu’avait imposé le gouvernement. En novembre 2016, le gouvernement fédéral a annoncé son intention d’accélérer l’élimination des centrales électriques traditionnelles alimentées au charbon au Canada d’ici 2030. Cette décision entraînait des conséquences pour des travailleurs et des collectivités de quatre provinces : l’Alberta, la Saskatchewan, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. C’était — et c’est encore — une tentative pour imposer une transition équitable aux travailleurs du charbon. Tout a commencé par une série de recommandations proposées par un groupe de travail, au sein duquel notre collègue et parrain du projet de loi C-50, le sénateur Yussuff, avait travaillé, notamment en faisant valoir son point de vue.

Selon le Bureau du vérificateur général, le gouvernement a laissé tomber les travailleurs et les collectivités qui étaient appelés à délaisser l’industrie du charbon. Comme le dit le rapport, à la page 5 :

Même si le gouvernement avait désigné Ressources naturelles Canada à titre de ministère responsable de la présentation d’une loi sur la transition équitable en 2019, le Ministère a peu fait à ce sujet avant 2021. Il n’a pas établi de structure de gouvernance qui aurait défini les rôles, responsabilités et obligations redditionnelles à cet égard au sein du gouvernement fédéral. Il n’a pas non plus établi un plan de mise en œuvre de la transition adapté à une diversité de travailleuses et de travailleurs, de situations géographiques et de parties prenantes fédérales et autres.

L’enquête a révélé qu’il n’y avait aucun plan de mise en œuvre fédéral, aucune structure de gouvernance formelle et aucun système de mesure et de suivi. Selon le rapport, les programmes et les prestations du gouvernement fédéral ne permettaient pas d’assurer une transition équitable pour les travailleurs du charbon. Ces derniers ont obtenu les mesures de soutien habituelles, car Emploi et Développement social Canada a eu recours à des programmes réguliers pour soutenir les travailleurs du charbon ainsi qu’à des mesures de soutien pour les collectivités qui n’avaient pas été conçues pour leur assurer une transition équitable. Par ailleurs, les recommandations du groupe de travail n’ont pas toutes été mises en place, et il n’y a pas eu suffisamment d’évaluations des résultats, de suivis et de rapports.

Je suis inquiet, chers collègues, et vous devriez l’être aussi, car la transition équitable pour les travailleurs du charbon pourrait très bien être l’ébauche du projet de loi actuel du gouvernement. Nous devons avoir une discussion approfondie afin d’éviter les pièges de ces anciennes initiatives. Il reste encore du chemin à faire.

Chers collègues, j’attire votre attention sur ces points parce que si nous y regardons de plus près et si nous creusons davantage, nous pouvons faire mieux pour les Canadiens que le modèle utilisé par le Groupe de travail sur une transition équitable pour les collectivités et les travailleurs des centrales au charbon.

En ce qui concerne l’extraction des ressources naturelles, le secteur pétrolier et gazier, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la création d’emplois et les investissements du secteur privé au pays, les Canadiens méritent un gouvernement qui mène une démarche sérieuse. Je le répète, nous n’y sommes pas encore, et certainement pas avec ce projet de loi.

M. Desjarlais, du Indigenous Resource Network, a très bien résumé la situation lors de sa comparution devant le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles :

Je n’ai rien contre les mesures législatives qui visent à former des gens pour des emplois verts ou à créer de nouvelles possibilités économiques dans nos territoires. En fait, bon nombre des compétences sont les mêmes, qu’il s’agisse de l’extraction de l’uranium pour l’énergie nucléaire et du cuivre pour l’électrification, ou de la construction de pipelines pour le captage du carbone ou pour l’hydrogène.

Mais nous avons de très bonnes raisons de nous attendre à ce que les emplois liés à l’installation de panneaux solaires ou d’éoliennes ne soient pas aussi bien rémunérés que les emplois liés au pétrole et au gaz. Les membres de l’[Indigenous Resource Network] ne veulent pas quitter ces emplois tant qu’il y aura une demande pour ce produit.

Je suis d’accord avec M. Desjarlais. Ses craintes sont justifiées. Selon le rapport de la vérificatrice générale sur la transition équitable vers l’élimination du carbone, Emploi et Développement social Canada n’a pas protégé adéquatement la rémunération des travailleurs du charbon, puisqu’il n’a pas mis en œuvre la prestation de soutien à la formation d’assurance-emploi conformément à la recommandation et tel qu’il était chargé de le faire. Il s’est plutôt fié à des prestations d’assurance-emploi désuètes, qui étaient insuffisantes. De plus, chers collègues, le gouvernement n’a pas été en mesure de démontrer comment il avait protégé les retraites des travailleurs touchés.

Par conséquent, tant qu’il existe une demande pour le produit, le gouvernement ne devrait pas imposer une transition aux travailleurs s’il existe une offre et un marché, et c’est le cas. S’il est réglementé de manière responsable — et il l’est —, il doit être dirigé par le marché, et non par le gouvernement. Le gouvernement ne devrait pas prendre des mesures pour supprimer des emplois bien rémunérés — les plus rémunérateurs pour les travailleurs autochtones — dans le but de réduire notre part de 1,5 % des émissions mondiales de CO2. Bien sûr, vous m’avez entendu le dire à maintes reprises : l’effet sur les émissions mondiales sera nul.

Le gouvernement devrait plutôt soutenir le secteur du pétrole et du gaz, qui a investi des milliards de dollars dans les entreprises et les communautés autochtones dans le cadre de nombreux partenariats. Les communautés autochtones ont investi en elles‑mêmes et en sont fières. L’argent public n’ira jamais aussi loin lorsqu’il s’agit de former et de recycler les travailleurs et de soutenir les communautés. Mme Joseph a parfaitement résumé la situation devant le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles lorsqu’elle a déclaré :

C’est pourquoi la compétitivité est une priorité si importante pour ce projet de loi. Ce n’est pas souligné dans les compétences requises pour le conseil ni dans l’approche du plan, mais le Canada a connu des situations de fermetures soudaines d’industries, comme les pêches de Terre-Neuve, comme les collectivités minières de l’Alberta lorsqu’elles sont passées rapidement à l’électricité produite à partir de gaz naturel. Si nous le faisons très rapidement dans l’ensemble de l’économie, nous ne devrions pas avoir une idée exagérée de la capacité financière du gouvernement à combler les lacunes un peu partout [...]

Chers collègues, il existe des moyens différents et meilleurs de réduire les émissions mondiales tout en fournissant de l’énergie aux Canadiens et au monde. Nous avons des projets de gaz naturel liquéfié prêts à être mis en œuvre, et des partenaires du monde entier réclament du gaz naturel liquéfié canadien. Selon un rapport de Shell publié en 2024 sur les perspectives en matière de gaz naturel liquéfié, la demande mondiale de gaz naturel liquéfié devrait augmenter de plus de 50 % d’ici 2040, car la Chine et les pays d’Asie du Sud passeront du charbon au gaz. En exportant du gaz naturel liquéfié sur les marchés européens et asiatiques, le Canada peut contribuer à réduire les émissions mondiales de CO2 en aidant d’autres pays à réduire leurs propres émissions, qui proviennent en grande partie du charbon, tout en créant des emplois durables et bien rémunérés au Canada.

(2330)

Honorables sénateurs, j’ai commencé mon discours à l’étape de la deuxième lecture en citant le premier ministre Justin Trudeau, qui, lors du Forum économique mondial à Davos, a dit que le très honorable Stephen Harper souhaitait que le Canada soit reconnu pour ses ressources, alors que M. Trudeau voulait qu’il soit reconnu pour son ingéniosité. Chers collègues, je crois que le Canada sera toujours reconnu pour ses ressources.

Je veux que le Canada exploite ses ressources intelligemment et de façon stratégique et qu’il soit reconnu pour sa façon d’aider ses alliés et ses amis en leur fournissant de l’énergie produite de façon responsable ainsi que des innovations et des technologies de calibre mondial. Ce faisant, nous aiderons aussi nos propres concitoyens.

Je vais toujours défendre les intérêts de notre secteur pétrolier et gazier pour qu’il continue d’offrir de bons salaires aux Canadiens et de soutenir les travailleurs, les entreprises et les communautés autochtones, mais à condition qu’on agisse de manière responsable en ce qui concerne les travailleurs, l’environnement, la gestion des ressources et la sécurité.

Je continue de croire que le Canada a mieux à offrir. Je crois qu’il n’est pas judicieux de faire disparaître des emplois durables et bien rémunérés, d’anéantir des possibilités pour les Autochtones et de saboter des industries bien établies et bien réglementées, et ce, à un coût immense pour les contribuables. Chers collègues, bon nombre de ces contribuables ne sont pas encore nés.

Le Comité de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles mène actuellement une étude sur l’industrie pétrolière et gazière. Au comité, j’ai demandé à des représentants d’Environnement et Changement climatique Canada quel était le coût de notre programme de lutte contre les changements climatiques. La réponse m’a choqué et devrait vous choquer aussi : 2 billions de dollars, seulement pour le Canada. Qui paie pour cela? Ce sont les Canadiens. Quel est l’effet sur les émissions mondiales de CO2? Il n’y en a aucun.

J’ai conclu mon discours à l’étape de la deuxième lecture en mettant le gouvernement au défi de démontrer en quoi cette idéologie a un sens à quelque niveau que ce soit. Avec le peu de temps que nous avons eu pour étudier le projet de transition juste, rien dans ce projet de loi ne me rassure. Au contraire, il renforce ma détermination à veiller à ce que notre pays ne s’engage pas sur la voie d’un niveau de vie inférieur pour les Canadiens, d’opportunités moindres pour les communautés autochtones, d’émissions mondiales plus élevées et de la servitude des contribuables pour les générations à venir.

J’ai parlé par le passé du programme de formation de recyclage désastreux qui a suivi l’effondrement des stocks de morue du Nord au large des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador, en 1993. J’ai travaillé dans cette pêche et j’ai vu de mes propres yeux la dévastation de notre population, de nos communautés et de notre culture. Qu’il s’agisse maintenant d’une politique gouvernementale de 2 billions de dollars sans aucun effet sur les émissions mondiales dépasse l’entendement.

En conclusion, je voterai bien sûr contre cette mesure législative, ni parce que je suis le porte-parole, ni parce que je suis membre de l’opposition officielle, ni parce que je suis conservateur. Je voterai contre parce que ce n’est pas un bon plan pour nos travailleurs, nos collectivités, nos entreprises ou nos alliés. Il n’est pas bon pour le Canada à tous les égards. Chers collègues, je vous exhorte à faire comme moi. Merci.

Son Honneur la Présidente : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les oui l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente : Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

La sénatrice Seidman : Nous reportons le vote à la prochaine séance du Sénat.

Son Honneur la Présidente : Le report du vote est demandé. Conformément à l’article 9-10 (2) du Règlement, le vote est reporté à la prochaine séance du Sénat, à 17 h 30. La sonnerie d’appel retentira à compter de 17 h 15.

[Français]

Projet de loi d’exécution de l’énoncé économique de l’automne 2023

Troisième lecture—Débat

L’honorable Lucie Moncion propose que le projet de loi C-59, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 21 novembre 2023 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023, soit lu pour la troisième fois.

— Honorables sénateurs, étant donné l’heure tardive et puisque je ne veux pas être un obstacle au repos des sénateurs, je propose :

Que la séance soit maintenant levée.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée avec dissidence.)

(À 23 h 35, conformément à l’ordre adopté par le Sénat plus tôt aujourd’hui, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

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